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Les féminicides touchent tous les continents

Dressant le sombre tableau des féminicides dans le monde, Huguette Junod estime qu’il revient aux Etats de mettre sur pied des mesures de prévention.
Société

Là-bas, en Iran, on massacre des écolières, collégiennes, lycéennes, étudiantes âgées de 11 à 18 ans parce qu’elles refusent de porter le foulard et réclament la liberté. Elles diffusent des vidéos sur les réseaux sociaux, on les voit déchirer les photos des dirigeants, qu’elles remplacent par le portrait de Mahsa Amini, la jeune Kurde de 22 ans dont la mort pour un voile mal ajusté, le 14 septembre, à Téhéran, a provoqué l’embrasement du pays, ou adresser un doigt d’honneur au guide de la révolution, Ali Khamenei. Or, la moindre critique du leader est passible de prison. Ces jeunes filles sont alors kidnappées, battues à mort, tuées par balles, leur corps parfois enlevé, pour éviter que l’enterrement provoque une nouvelle manifestation. On en retrouve le visage fracassé ou écrasé sous la force des coups.

Certaines ne se remettent jamais de leur détention, où elles ont été torturées. Les protestataires les appellent «les jeunes filles de l’Iran». C’est peut-être par elles que viendront les changements. Dimanche 4 décembre, on apprenait par les médias que le procureur général décrétait l’abolition de la police des mœurs, tant redoutée des Iraniens, surtout des Iraniennes. Mais Mahnaz Shirali, sociologue et spécialiste de l’Iran, confie au HuffPost que cette déclaration est une «opération de propagande» menée par le régime iranien. L’autrice de Fenêtre sur l’Iran, le cri d’un peuple bâillonné (éd. Les Pérégrines, 2021), doute qu’il y ait des incidences positives sur le quotidien des Iraniennes. Pire, cette unité de police pourrait être remplacée par une autre, encore plus répressive…

Ici, en Suisse, on tue des femmes parce qu’elles sont femmes. Depuis le début de l’année, 15 ont été assassinées par leur conjoint, ex-conjoint, frère, père. La France en compte 121, un chiffre proportionnellement proche. On les tue avec une arme dans 66% des cas, par strangulation (20%), coups (15%). Jeudi 1er décembre, aux Bains des Pâquis, malgré le froid, une quarantaine de personnes ont répondu à l’appel lancé par les femmes Soroptimist genevoises. Elles ont déposé sur l’eau des lanternes reliées par un fil, afin de rendre hommage aux victimes suisses, âgées de 25 à 86 ans. Cette cérémonie s’adressait également aux victimes de violences en Ukraine, en Iran et dans le reste du monde.

Les féminicides touchent des femmes dans tous les continents. L’Asie arrive en tête: 20’000 femmes assassinées en 2017, devant l’Afrique (19’000), le continent américain (8000), l’Europe (3000) et l’Océanie (300). De plus, la Chine et l’Inde ont la triste réputation d’être les auteurs de nombreux meurtres de petites filles à la naissance. Avec un taux d’homicides conjugaux/familiaux de 3,1 pour 100’000 femmes, l’Afrique est la région où les femmes ont le plus de risques de se faire tuer par un partenaire intime ou un membre de la famille. Le féminicide est généralement l’aboutissement d’années de harcèlement moral et physique, de dénigrement systématique et de violences diverses. Souvent dépendantes financièrement, les femmes violentées sont à la merci de leur compagnon. Elles n’osent pas porter plainte parce qu’elles craignent sa réaction.

Il faut faire évoluer les formes de masculinité et les normes sociales néfastes. Mais il faut surtout que les Etats prennent des mesures de prévention. La Suisse pourrait s’inspirer de l’Espagne, en pointe en matière de lutte contre les «violences machistes», qu’il s’agisse de «téléphones rouges», de tribunaux dédiés aux affaires de violences conjugales, où les juges ont 72 heures pour instruire chaque dossier, une série d’aides gratuites leur apportant un soutien juridique, économique et psychologique, une formation obligatoire pour les personnels en contact avec les femmes victimes de violences (magistrats, médecins, forces de l’ordre, etc.). Il n’est pas admissible qu’en temps de paix, en 2022, des femmes soient assassinées par leurs proches.

Huguette Junod est écrivaine, de Perly (GE).

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