«Le théâtre doit éveiller les consciences»
On se souvient de la présence contestée de Bertrand Cantat, en 2011, sur le plateau de la Comédie de Genève, peu de temps après sa sortie de prison, jugé coupable du meurtre de sa compagne Marie Trintignant. Le directeur du théâtre, Hervé Loichemol, avait ensuite passé commande d’une pièce à l’autrice de théâtre romande Valérie Poirier autour des violences faites aux femmes. Un Conte cruel mettait en scène un personnage féminin sous l’emprise de son mari, la pièce avait bouleversé. Plus récemment, dans l’Hexagone, il y a eu notamment Les Chatouilles d’Andréa Bescond, autour d’abus sexuels commis sur des enfants, évoque Tadrina Hocking, depuis le Théâtre de l’Opprimé, à Paris, où la première d’Après coup a lieu le soir.
Pour la comédienne et autrice, les spectacles qui thématisent les féminicides ne sont pas rares dans le théâtre public français, surtout depuis MeToo. On ne peut pas en dire autant du théâtre privé. Pour sa pièce Après coup, il a fallu batailler, aucun producteur n’ayant pris le risque de financer un projet potentiellement peu vendeur.
L’équipe d’Après coup a donc pris sur elle pour porter le spectacle, travaillant presque bénévolement. A quatre mains avec Sandra Colombo, également humoriste, les deux autrices, féministes, tenaient à aborder les féminicides, dont l’augmentation du nombre chaque année incite à réagir.
Un phénomène analysé par la sociologue Françoise Héritier, qui relevait qu’«il n’existe aucune autre espèce où les mâles tuent les femelles». «Les féminicides ne sont pas des cas isolés mais le résultat d’une violence structurelle dont le point de départ se trouve dans les rapports de force patriarcaux de notre société», corrobore l’association suisse Stop Feminizid.
Pourtant, en Suisse comme ailleurs, les violences conjugales passent souvent pour des «crimes passionnels» et elles sont le plus régulièrement traitées comme une affaire privée. Le terme de «féminicide» peine à y être reconnu, rejeté par le Conseil des Etats en 2020.
Lorsque la pièce a été jouée en France devant un public d’adolescent·es, Après coup a déclenché une standing-ovation. Dans cette fiction, quatre amies se retrouvent dans un chalet de montagne pour rendre un dernier hommage à celle qui n’est plus.
«Nous voulions que le texte s’adresse à tout le monde. Car les femmes savent déjà beaucoup de choses sur ce type de violences. Nous y racontons une histoire universelle d’amitié, autour de celles et ceux qui restent», résume Tadrina Hocking.
Avec Sandra Colombo, elles ont tenu aussi à susciter le rire. «Avec un sujet comme celui-ci, c’est impossible. Mais en abordant les rapports d’amitié, nous traversons beaucoup de moments de légèreté. Nous traitons de questions très lourdes, mais nous avions envie que le public sorte avec de l’espoir, en ayant le désir d’en découdre. Il est important que le théâtre éveille les consciences», insiste Tadrina Hocking.
La pièce, mise en scène par Christophe Luthringer, sera accueillie par le Théâtre du Passage, à Neuchâtel, vendredi 2 décembre, dans le cadre de sa programmation hors-saison. On doit cette soirée exceptionnelle à la volonté des clubs services féminins du canton, qui ont souhaité se mobiliser dans le cadre de la campagne mondiale des seize jours d’activisme contre la violence à l’égard des femmes et des filles. Une campagne essentielle qui démarre ce vendredi, Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes.
Vendredi 2 décembre, Théâtre du Passage, Neuchâtel, www.theatredupassage.ch