Lula réélu sans ailes
Dimanche soir, l’effervescence des partisan·nes de Lula pouvait se comparer à celle d’une victoire à une coupe de monde de football. Au Brésil, ce n’est pas peu dire. Après plusieurs heures de tension extrême face à des prévisions de score en ballottage, le verdict définitif apparaît à 20 h sur tous les écrans: l’ancien syndicaliste de la métallurgie l’emporte avec 50,9% des suffrages, à quelque deux millions de voix à peine de l’ultraconservateur Jair Bolsonaro. Sur toutes les lèvres du camp progressiste, le même mot: «soulagement». L’après-midi même, plus de 600 barrages de la police dans les régions et quartiers pro-Lula ont empêché à dessein les citoyen·nes de se rendre aux urnes. Le pire était à craindre. Mais la prompte réaction de la population et l’intervention du président du Tribunal électoral a permis de débloquer la situation.
Lula a gagné et sa victoire est incontestable. Tous les alliés de Jair Bolsonaro ont reconnu le résultat, de même que la plupart des pays. Seul le président sortant s’est réfugié dans le mutisme, au lieu de féliciter son adversaire comme c’est l’usage. Alors qu’il n’a eu de cesse de menacer ces derniers mois de ne pas rendre le pouvoir, prétextant un manque de fiabilité des urnes électroniques, la situation était inquiétante hier. Mais en soirée, le groupe Globo, le plus grand média du pays, annonçait que Jair Bolsonaro avait confié à plusieurs ministres qu’il ne contesterait pas les élections. Des troubles avaient entre temps déjà commencé dès le matin, des militant·es pro-Bolsonaro et des camionneurs ont bloqué plusieurs routes dans différents Etats pour exiger un recomptage des voix.
Après quatre ans de démantèlement des institutions de protection sociale, environnementales et culturelles, de discours misogynes, homophobes et racistes, de destruction des milieux naturels, accompagnés d’une gestion catastrophique du Covid qui a fait plus de 687 000 morts, le Brésil aspire à retrouver un peu de normalité et de sens des responsabilités. Le pourra-t-il? La question est permise. D’abord, parce que paradoxalement le bolsonarisme, en tant qu’idéologie et mouvement politique, s’est renforcé. Après quatre ans de cette présidence hallucinée, près de la moitié de la population en redemande et a élu encore davantage de représentant·es ultraconservateur·trices au parlement et à la tête des Etats. Lula devra compter avec une opposition virulente, prête à tous les mensonges et manipulations, qui n’hésitera pas à faire violemment obstruction.
Ensuite, parce que la très large alliance que Lula a dû passer avec la droite pour gagner, y compris celle représentant l’oligarchie financière, ne lui laisse qu’une marge de manœuvre étroite. D’autant que son Parti des travailleurs ne dispose que de 68 député·es (sur 513) à l’Assemblée nationale. Lula aura-t-il les moyens d’éradiquer à nouveau la faim, de protéger l’Amazonie et de renouer avec le programme d’accès au logement pour les plus pauvres «Ma maison, ma vie», comme il l’a promis avant-hier? Il sera entravé par la faiblesse de la croissance et par des lois comme celle, constitutionnelle, du plafond des dépenses publiques et toutes celles qui favorisent la déforestation en octroyant des droits aux mines et à l’agrobusiness.
La victoire de dimanche est avant tout celle de l’Etat de droit face aux velléités autocratiques et répressives du bolsonarisme. Mais pour que cela dure plus de quatre ans, le camp progressiste devra faire preuve d’inventivité pour améliorer le quotidien de la majeure partie de la population.