Un enjeu qui dépasse le cas Uber
Les séances de négociations tripartites se sont enchaînées ces dernières semaines à Genève entre Uber, le canton, les syndicats et les chauffeurs. Si la position des syndicats a évolué, dans la recherche d’un compromis acceptable par tout le monde, force est de constater que ce n’est pas le cas de celle des représentants locaux de la multinationale californienne.
En juillet, Uber provisionnait 5 millions de francs sur un compte en guise d’assurance. Deux mois plus tard, la proposition, refusée par les chauffeurs pour solder leurs arriérés de salaire et autres frais professionnels sur cinq ans, s’élève à…. 5 millions de francs. Une somme à diviser entre 1780 personnes.
Ces dernières n’ont pas eu besoin de beaucoup de temps pour calculer qu’on leur présentait un plat de lentilles en lieu et place des sommes attendues. D’autant que dans l’intervalle, les syndicats avaient accepté de revoir leurs prétentions à la baisse, suscitant le mécontentement d’une partie de leur base.
Dans ce contexte, la position tenue hier par Fabienne Fischer, conseillère d’Etat en charge de l’Economie, est devenue illisible. D’abord, elle refuse d’endosser l’échec d’un accord en affirmant désormais que l’Etat n’était pas partie prenante, mais avait un rôle de médiateur à la table des négociations.
Curieuse interprétation alors qu’il ne s’agissait pas de faire signer une convention collective de travail, mais bien de mettre en œuvre un arrêt du Tribunal fédéral et de fixer le cadre dans lequel pourra évoluer à l’avenir l’économie des plateformes. Un enjeu crucial pour l’avenir du monde du travail et qui dépasse largement Uber.
Ensuite, la magistrate verte estime la proposition d’Uber «conforme au droit», mais ne la reprend cependant pas à son compte. Alors même que les assurances sociales récupéreraient 30 millions de francs, ce qui n’est pas négligeable.
Espère-t-elle en obtenir une meilleure? Rien n’indique qu’elle pourrait faire preuve de fermeté envers une société qui, depuis son arrivée en Suisse, contourne sciemment le cadre social et légal en vigueur dans notre pays en ne payant ni charges sociales ni impôts et en faisant porter tout le risque de l’entreprise sur ses chauffeurs.
Une multinationale dont la valeur est estimée à plus de 60 milliards de dollars! Rien que dans notre pays, Uber devrait, selon les estimations des syndicats, entre 60 et 90 millions de francs par année pour les arriérés de salaire et les frais professionnels.
La conseillère d’Etat genevoise a pourtant des cartes en main, et pas des moindres. Elle peut suspendre l’application, comme ce fut le cas pendant quelques jours début juin, en attendant qu’une solution jugée satisfaisante soit trouvée. D’autant plus facilement que le risque de voir les chauffeurs tomber au chômage s’éloigne à la faveur de la multiplication des applications alternatives.
Faute de solution collective, ils pourraient être des centaines, demain, à se tourner vers le tribunal des Prud’hommes pour réclamer leur dû. Ce qui occasionnera de nouvelles dépenses pour l’Etat. Tout au contraire, en finir avec les atermoiements pourrait permettre, au-delà de la défense des intérêts particuliers, de préserver l’intérêt collectif.