Neuchâtel

Des études à tout prix

Après avoir fui l’Ukraine, des étudiants privés de permis S se battent pour poursuivre leurs études en Suisse. Deux d’entre eux racontent leur quotidien très précaire.
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Salomon Séa vient de reprendre son Master en informatique à l’Université de Neuchâtel dans des conditions difficiles. Son diplôme en poche, il souhaite développer des applications dans le domaine de la santé afin d’informatiser facilement les registres des hôpitaux dans des pays d’Afrique. JJT
Guerre en Ukraine

Après avoir fui l’Ukraine,  Jean-Pierre* et Salomon Séa sont de retour dans les auditoires universitaires. C’est à la faculté des sciences de l’Université de Neuchâtel qu’ils ont choisi de poursuivre leurs études, interrompues, par l’offensive russe. Le premier étudie l’hydrogéologie et la géothermie, le second l’informatique.

Bien qu’installés en Ukraine depuis plusieurs années, ils n’ont pas eu droit au statut de protection S,  le permis délivré aux Ukrainien·nes qui leur permet de travailler ou d’étudier rapidement (notre édition du 11 mai).

Pour les deux étudiants africains, obtenir une place sur les bancs de l’université a relevé du parcours du combattant. Ils ne détiennent pas de passeport bleu et jaune et le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) n’accorde ce sésame qu’aux personnes qui «ne peuvent retourner dans leur pays d’origine en toute sécurité et de manière durable».

Originaires du Cameroun et de Côte d’Ivoire, les autorités suisses estiment que Jean-Pierre et Salomon Séa ne répondent pas à ces critères. D’après les chiffres du SEM, 2677 personnes fuyant l’Ukraine, mais ressortissantes d’Etats tiers, ont déposé une demande de permis S en Suisse. 1771 se l’ont vu accordé. Sur les 64 830 permis S, 2,7% seulement ont été accordés à des personnes qui n’ont pas la nationalité ukrainienne.

«J’ai quitté Ivano-Frankivsk quand les premières bombes sont tombées fin février. Je suis passé par la Hongrie, l’Autriche et l’Allemagne avant d’arriver en Suisse», témoigne Jean-Pierre. Salomon Séa était en première année de Master en informatique à Cherkasy, à 200 kilomètres au sud-est de Kiev, lorsque la guerre a commencé.

«Je ne voulais pas quitter le pays mais quand les cours ont été suspendus et qu’il est devenu difficile de retirer de l’argent, je suis parti avec un ami Ukrainien.» Ils prennent la direction de la Suisse pensant qu’il sera facile d’obtenir un permis en Suisse et de s’intégrer, comme ils parlent français.

«Nous fuyons la même guerre»

A l’arrivée en Suisse, ils déchantent vite. Il est demandé aux deux Africains de déposer une demande d’asile. Sur les 906 demandeurs et demandeuses de permis S venant d’Etats tiers qui ont été débouté·es, 24 ont entamé une procédure d’asile, précise le SEM, dont Jean-Pierre et Salomon Séa.

Alors que les Ukrainien·nes reprennent rapidement leurs études, leur procédure s’éternise, ils sont transférés d’un centre d’accueil à un autre. «Après huit ans en Ukraine, je pensais que j’obtiendrais un permis S. J’ai été surpris de ce refus car nous fuyons la même guerre», témoigne Jean-Pierre.

En juillet, Salomon Séa, originaire de Côte d’Ivoire, obtient avec soulagement une admission provisoire. Jean-Pierre, originaire du Cameroun voit en revanche sa demande de protection refusée. Le dépôt d’un recours lui permet néanmoins d’entamer la rentrée universitaire le 20 septembre dernier mais celui-ci a depuis été rejeté. D’après le SEM, sur les 24 demandes d’asile déposées, cinq personnes ont obtenu une admission provisoire, sept ont été déboutées et onze cas sont encore en cours d’examen.

Extrême précarité

La situation des deux étudiants reste très précaire. Hébergé à Tête de Ran, dans un foyer reculé dans la campagne neuchâteloise, Salomon Séa se réveille à l’aube chaque matin afin d’arriver à l’heure à l’uni. Avec la maigre contribution de 300 francs par mois qu’il reçoit et avec laquelle il doit se nourrir, se vêtir et payer ses transports, s’acquitter de la taxe universitaire de 790 francs par semestre reste problématique. «Les bourses sont octroyées uniquement dès le second semestre d’étude», explique-t-il.

Après le rejet de son recours, la seule option qu’il reste à Jean-Pierre est de faire une demande d’autorisation de séjour pour études dans le canton de Neuchâtel. «Je n’ai aucune perspective au Cameroun, ma sécurité n’est pas assurée là-bas.»

Sa requête sera examinée par le canton. Il devra cependant montrer qu’il est financièrement indépendant par une déclaration d’engagement d’un garant, la garantie d’une bourse de minimum 1500 francs par mois ou un extrait de compte en banque attestant qu’il possède au moins  20 000 francs. «C’est impossible pour moi et puisque je n’ai pas de permis, je ne peux pas travailler. Je suis coincé dans ce cercle vicieux», déplore-t-il.

L’association Save Africans Ukraine a décidé de lancer un appel au don afin de financer cinq étudiants dont Jean-Pierre et Salomon. Les dons sont possibles via www.saveafricans-ukraine.ch.

L’association a également lancé une pétition qui demande à l’échelle européenne la mise en place d’un dispositif ad-hoc permettant aux étudiant·es des pays tiers de poursuivre leur formation dans les universités et les hautes écoles européennes. A défaut, elle demande à la Suisse de garantir l’accueil de ces étudiant·es dans les écoles pour la durée de la guerre en Ukraine.

Le conseiller national écologiste neuchâtelois Fabien Fivaz a également déposé une interpellation à ce sujet à Berne. Intitulée «Stop à l’arbitraire. Le statut S pour tous les réfugiés en provenance d’Ukraine», elle demande au Conseil fédéral si la situation particulière des étudiant·es a fait l’objet d’une réflexion et s’il est envisageable qu’ils puissent poursuivre leurs études en Suisse aussi longtemps que perdure la guerre.

* prénom d’emprunt

Une rentrée particulière

A l’Université de Neuchâtel, 42 personnes ayant fui l’Ukraine ont fait leur rentrée en septembre, dont deux chercheuses financées par le FNS dans le cadre du programme «Scolars at Risks» (universitaires en danger; ndrl) et un doctorant bénéficie aussi d’un accès à l’une des facultés pour poursuivre ses re-cherches.

Plus de 100 personnes en provenance d’Ukraine dont 7 sont originaires de pays tiers étudient à l’Université de Genève. 90 participent au programme Horizon académique, une passerelle de préparation aux études universitaires.

Ce programme est destiné aux personnes relevant du domaine de l’asile et aux permis B regroupement familial. 28 personnes fuyant l’Ukraine ont été admises, à l’Université de Lausanne, 29 ont échoué l’examen d’entrée. JJT

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