Nationalisme aveugle et obtus
J’avais déjà apprécié l’article sur Izmaïl qui montrait la diversité des nationalités et des religions qui font l’Ukraine, je ne peux que remercier Augustin Campos d’aborder dans Le Courrier du 13 septembre le problème fondamental que pose en Ukraine la présence de deux langues, russe et ukrainien, qui toutes deux avaient vocation de devenir langues nationales et que ce pays n’a malheureusement pas su résoudre à cause de l’aveuglement nationaliste d’une minorité d’habitants des Oblasts de Lvov et d’Ivano-Franckish. En voulant imposer une seule langue nationale, leur nationalisme aveugle et obtus est à l’origine, plus que Poutine, des malheurs de l’Ukraine.
Ces ultranationalistes n’ont pas compris que les Russes (non pas les russophones), en 1991, surtout par leur poids linguistique et culturel, représentaient une partie notable de la population, probablement autour des 40-60% même si la CIA prétendait que les trois quarts de la population était ukrainienne. Les populations de Kiev et de la Novorossia, cet arc de cercle qui part du Donbass à l’est et aboutit en Transnistrie, constitué par le Donbass (Lougansk, Donetzk), Zaporojjie, sans oublier Marioupol qui permettrait de créer un lien avec la Crimée, Kherson, Nikolaiev et Odessa, le port mythique sur la mer Noire, pour aboutir plus au nord à la Transnistrie détachée de la Moldavie, étaient très majoritairement ou majoritairement russes.
Je vous rapporte deux anecdotes significatives. Lors de mon premier contact avec un groupe de professeurs, alors que je provoquais un peu en demandant quelle langue a été utilisée pour leur réunion, l’une d’entre-eux m’a répondu vertement: «Ici, Monsieur, nous parlons russe.» A l’académie de Nikolaïev, une institution soutenue par l’Etat à condition que les professeurs se mettent à l’ukrainien, un professeur isolé et triste, boycotté tant par les étudiants que les autres enseignants, était l’enseignant d’ukrainien.
Dans les années 2000-2001, j’ai vu des professeurs qui mettaient leur carrière en danger en affirmant qu’ils étaient russes et qu’ils ne voulaient pas enseigner en ukrainien. Ce pays était aussi le leur et d’ailleurs, quelques années plus tard, ils éliront un gouvernement prorusse que la fausse révolution et le vrai coup d’Etat de Maïdan renversera avec pour conséquences, dans les deux régions peuplées de Russes, la sécession du Donbass et l’annexion de la Crimée par la Russie. Même Odessa a essayé de résister, mais les milices ukrainiennes ont massacré plusieurs dizaines de militants anti-Maïdan pour mettre fin à la résistance.
L’Amérique qui avait préparé, sinon soutenu, le coup d’Etat va alors préparer et armer cette nouvelle Ukraine débarrassée en grande partie de ses Russes, en vue de son adhésion à l’OTAN tout en sachant que la Russie, déjà encerclée par les forces de l’OTAN, tenterait un jour de stopper cette agression.
L’Ukraine n’était pas seulement le pays de la minorité qui parlait ukrainien, mais elle était aussi le pays de la majorité de ceux qui ne le parlaient pas, en particulier des Russes. D’ailleurs mes étudiants admiraient le modèle suisse avec la pluralité des langues, des cultures et des religions et espéraient qu’un jour il pourrait être le leur. Ce ne fut pas le cas car, ici comme ailleurs, le nationalisme obtus, assisté de l’impérialisme ravageur de l’Occident, ne l’a pas voulu.
Jacques Pous,
Genève