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«Ziyara», un film émouvant de Simone Bitton

AU PIED DU MUR

Je ne suis pas un cinéphile et je vais très peu au cinéma, sauf quand un·e de mes ami·es fait partie de la production en tant que réalisateur·rice, chef·fe opérateur·rice ou encore monteur·se. Et là, je suis béni des dieux de la caméra: beaucoup de mes proches font du cinéma, certain·es ont été primé·es dans des festivals prestigieux.

Une de mes amies est la réalisatrice maroco-franco-israélienne Simone Bitton, mondialement connue pour ses documentaires sur Mahmoud Darwish – une des figures de proue de la poésie palestinienne –, Rachel Corrie – militante américaine propalestinienne écrasée par un bulldozer israélien – ou encore Mur, qui décrit le système d’enfermement des Palestiniens par l’occupant israélien.

Hier, je suis allé à la cinémathèque de Jérusalem pour y voir son dernier film, Ziyara (2021), sur les lieux saints juifs au Maroc. Dans ce film, Simone nous promène à travers le Maroc et les traces d’une culture juive, extrêmement riche et totalement intégrée dans un Maroc pluriel doté d’une tolérance qui fait rêver le juif européen que je suis. Beau et émouvant.

Les lieux saints (souvent des tombes de rabbins) que nous visitons à travers le film sont, depuis le départ des Juifs avec la fin du colonialisme français, sous la protection des musulmans qui considèrent ces monuments non seulement comme une partie intégrante de leur histoire et de leur patrimoine culturel, mais souvent comme des lieux de prière qu’ils partagent avec les Juifs et les Juives.

Les Marocain·es les plus âgés n’ont jamais ni compris ni accepté le départ soudain de leurs voisins et amis juifs; ils considèrent ce départ comme une parenthèse provisoire, avant un retour à un Maroc judéo-musulman. Cette mémoire n’existe malheureusement plus chez les nouvelles générations, même si – on le voit dans le film – les systèmes scolaire et universitaire continuent à la mettre en valeur.

J’ai en mémoire deux souvenirs qui me sont chers: le premier se situe dans une petite ville du sud marocain. Je vois un quartier entier en ruines, et on m’explique qu’on n’y touche pas, car c’est le quartier juif et qu’un jour ils reviendront. Ma mémoire de juif d’origine polonaise me rappelle qu’à leur retour des camps nazis, les rescapé·es ont rarement été les bienvenu·es.

L’autre souvenir est lié au père de mon ami Driss de Rabat chez qui je logeais. Alors que les copains étaient allés boire un verre en ville, j’avais choisi de rester avec Abou Driss. Comme je fumais ma cigarette sur le balcon, celui-ci m’appelle et me demande de m’asseoir à côté de lui car il avait quelque chose de très important à dire: «Tu dois absolument rentrer au Maroc.» Je lui explique que je viens de Strasbourg, au nord-est de la France, à quoi il me répond: «C’est pas grave mon fils, le principal c’est que vous reveniez dans votre pays, au Maroc…»
Une dernière remarque concernant Ziyara: le fait que Simone communique avec les personnages de son film en marocain fait toute la différence.

Michel Warschawski est un militant anticolonialiste israélien, fondateur du Centre d’information alternative (Jérusalem/Bethléem).

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lundi 8 janvier 2018

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