Sur la question du logement
Cette année, le 17 avril, journée internationale des luttes paysannes qui commémore le massacre de vingt-et-une paysan·nes au Brésil en 1996, tombait le dimanche de Pâques. Cette coïncidence n’a pas empêché une petite centaine de personnes d’aller planter des patates sur un terrain promis à l’urbanisation dans la zone des Cherpines-Charrotons, sur la commune genevoise de Plan-les-Ouates.1>Lire Louis Viladent, «La résistance paysanne continue», Le Courrier, 19 avril 2022.
Pour mémoire, le déclassement de 60 hectares dans cette zone proche de l’autoroute de contournement avait fait l’objet d’un referendum il y a neuf ans. Les autorités politiques promettaient alors la construction de 2500 logements. Combien de logements ont-ils été réalisés à ce jour? Aucun. Des locaux commerciaux ont vu le jour, parmi lesquels la nouvelle halle de l’Union maraîchère genevoise où transitent les fruits et légumes que le canton importe. Un splendide centre sportif a été réalisé. Le reste du secteur sert de dépôt à des carcasses de semi-remorques et de pâturage à des chevaux. Quelques terres cultivées subsistent là où des propriétaires moins âpres au gain que les autres n’ont pas voulu résilier les baux agricoles.
Il y a quelques semaines de cela, le Conseil d’Etat a adopté le plan localisé de quartier du lieu-dit La Mure. Il s’agit de la construction d’un quartier de 120 logements, à la frontière avec la commune française de Collonges-sous-Salève. La parcelle forme un trapèze d’un hectare et demi, situé entre le village de Croix-de-Rozon et une célèbre enseigne de restauration rapide et carnivore évoquant le Far West. Le secteur a été déclassé en 2015. Il a été considéré par une commission de l’Office de l’urbanisme comme une zone de peu d’intérêt pour l’agriculture. Sur la base de quels critères? La documentation publiée ne le précise pas. La parcelle est qualifiée d’enclavée. A force d’urbanisation frénétique, il ne restera bientôt plus guère de parcelle qui ne le soit pas…
On m’expliquera avec condescendance qu’il faut bien construire des logements. Eh bien, qu’on en construise. Aux Cherpines: zéro. Partout ailleurs, on construit à tour de bras des surfaces commerciales qui resteront absolument vides. La surface de bureaux (hors dépôts et ateliers) vacante dans le canton a été multipliée par cinq en dix ans et par vingt-cinq en trente-cinq ans. Elle s’élève en 2020 à 190 000 mètres carrés, soit l’équivalent de 1800 logements, si l’on considère le rapport logement/surface retenu à La Mure. Et la production de surfaces commerciales est loin de s’arrêter. Ces surfaces commerciales vacantes, leurs propriétaires ne les destinent pas à une occupation quelconque. Elles sont des objets de pure spéculation destinés à être vendus et revendus plutôt qu’à être occupés. A cela s’ajoutent des hectares de zones villa qui devraient être densifiées et des mètres carrés de surfaces commerciales au centre-ville sur l’utilité desquelles on ferait bien de s’interroger.
Les autorités politiques s’abritent derrière la crise du logement, qu’elles n’ont nullement l’intention de résoudre, pour mener une politique urbanistique clientéliste. Leurs décisions sont guidées par les intérêts des propriétaires fonciers et immobiliers. Déclasser des terres agricoles, c’est l’assurance pour leurs propriétaires d’une confortable plus-value (le prix du terrain agricole est encadré légalement). Laisser produire des surfaces commerciales dont tout le monde sait qu’elles resteront vides, c’est favoriser la spéculation. Offrir les centres-villes aux commerces de luxe et aux cliniques de chirurgie esthétique, c’est favoriser la rente foncière. Ce ne sont pas de bons principes de gouvernement. L’intérêt de la collectivité, c’est de disposer de logements bon marché et d’activités économiques diversifiées, parmi lesquelles une production agricole pourvoyeuse d’emplois correctement rémunérés. Tout le contraire de la politique qu’illustre le futur quartier de La Mure.
Notes
* Observateur du monde agricole.