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L’inquiétante montée des dictatures

Alors que le néolibéralisme exaspère les inégalités, les populations ont tendance à se réfugier dans une mythologie nationale et souverainiste qui ne peut que déboucher sur la généralisation des conflits, examine René Longet.
Nationalisme

Dans les motifs de Poutine pour envahir l’Ukraine, au-delà de son obsession quasi trumpienne de «Make Russia great again», il y a sa peur panique de voir un régime démocratique prospérer aux portes de son pays. Un tel exemple est intolérable pour une Russie désormais entièrement à ses ordres, n’admettant plus l’expression d’opinions divergentes et soumise à un lavage de cerveau de grande ampleur. C’est aussi cette peur qui l’a incité cet hiver à envoyer ses troupes au Kazakhstan écraser un soulèvement contre le dictateur local. Et c’est encore elle qui l’a conduit à accorder son soutien à son collègue de Biélorussie après une «réélection» scandaleusement frauduleuse.

Ce sont ces mêmes craintes qui ont rendu le régime spécial convenu en 1999 pour Hong-Kong inacceptable pour Xi Jinping. Et le fait que Taïwan démontre quotidiennement la compatibilité de la mentalité chinoise avec la démocratie ne peut qu’exaspérer le dictateur chinois.

Xi Jinping et Poutine se sont tous deux assurés une présidence à vie – explicitement pour le premier, de fait pour le second, renouvelable jusqu’en… 2036. Et tous deux s’emploient à réécrire à leur façon la gouvernance globale. Feu sur les démocraties décadentes, l’avenir appartient aux dictatures. Feu sur l’universalité des droits humains, qualifiée d’imposture néocoloniale.

Tous deux enserrent le monde dans leurs toiles de dépendances. Par détestation de l’Occident, Poutine est, semble-t-il, devenu un héros dans le monde arabe et africain. Xi Jinping, quant à lui, récolte les fruits des achats massifs de terrains en Afrique et en Amérique latine et des infrastructures construites dans de nombreux pays, désormais lourdement endettés auprès de la Chine.

Et le monde a déjà changé: les dictatures et les pratiques autoritaires, le déni de l’Etat de droit progressent rapidement. Actuellement, plus de la moitié de l’humanité vit sous des régimes qui entravent fortement l’exercice des droits fondamentaux, voire l’empêchent, et ne connaissent plus d’élections libres. Aux dictatures de toujours, Russie, Chine, Iran, s’ajoutent sous des modalités variables l’Egypte, la Turquie, la Birmanie, l’Afghanistan, la Syrie, le Soudan et bien d’autres… Tout ce beau monde pourrait demain quitter l’ONU et créer une autre organisation à son image, plus vaste que la première, prenant en tenaille les pays attachés aux pratiques démocratiques.

Paradoxe, les peuples encore libres de dire non à cela se rallient aux dirigeants autoritaires, comme on l’a vu tout récemment en Hongrie. Trump (qui avait qualifié le dictateur nord-coréen de «nice guy») et Salvini ne sont plus là, mais pour combien de temps? Bolsonaro n’est pas encore chassé et Marine Le Pen n’a jamais été si proche du pouvoir – malgré des finances reçues d’un Poutine toujours heureux de favoriser des populistes qui non seulement l’admirent, mais font tout pour affaiblir le projet politique européen.

Car quand les peuples ont peur, quand le néolibéralisme exacerbe les inégalités, ils ont tendance à se réfugier dans une mythologie nationale égocentrique et souverainiste qui ne peut que déboucher sur la généralisation des conflits. Désormais en Europe, la souveraineté s’exerce en commun ou pas du tout. Une défense militaire européenne tout comme une unification politique plus grande sont maintenant incontournables, car il s’agit de peser sur le monde, de compter dans le monde.

Il est grand temps de rassembler les forces humanistes autour d’un projet mobilisateur fait de proximité, de résilience et de transition vers la durabilité, par une politique de réduction des inégalités et de création d’emplois utiles, non délocalisables et correctement rémunérés. Et autour d’une gouvernance cohérente du local au global, comportant des mécanismes de concertation multilatérale capables de gérer intelligemment nos interdépendances et les crises multiples caractérisant notre époque.

Dans notre petite Suisse, nous avons saisi quasi physiquement à quel point notre destin est lié à celui de l’Europe. La perception de la neutralité, de la sécurité, des relations internationales évolue rapidement vers la conviction qu’il nous faut nous arrimer solidement à l’Europe, au nom de notre communauté de valeurs et des dimensions nécessaires pour exister dans le monde. Du coup, le drame qui se joue en Ukraine – comme, dans un tout autre registre, les élections présidentielles en France – prend une signification universelle. Oui le monde change et l’Humanité est à la croisée des chemins.

René Longet est expert en développement durable.

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