«Faire quelque chose de concret»
Il est 14 heures à la douane de Sighetu Marmatiei, carrefour entre la Roumanie et l’Ukraine. Claire Vicente se réjouit de pouvoir aller dormir. Cela fait vingt-quatre heures qu’elle est à son poste: «Dès que les personnes passent la frontière depuis l’Ukraine, nous les aidons à porter leurs bagages et nous les aiguillons vers les différents services proposés par les ONG.» Genevoise d’origine, Claire est arrivée en Roumanie il y a six ans pour étudier la médecine à Cluj, une ville à 200 kilomètres au sud de Sighetu. Peu après l’annonce de l’invasion russe en Ukraine, son université a relayé un appel à volontaires lancé par la Croix de Malte. Elle n’est pas la seule à avoir répondu présente, sept autres étudiant·es de sa faculté sont venu·es aider sur place.
Se rendre utile
Parée d’une épaisse veste orange fluo, Mégane Balet fait partie de l’équipe de bénévoles qui prendra le relais de Claire cet après-midi. Pour cette jeune Valaisanne, venue elle aussi étudier la médecine à Cluj, se porter volontaire n’étais pas une décision évidente: «J’ai beaucoup hésité, se souvient-elle. D’une part, je n’étais pas sûre de la réelle utilité de ma présence ici. D’autre part, je n’étais pas certaine que la zone frontalière à la Roumanie soit sans danger.»
Pour finir, Mégane a décidé de relever le défi, convaincue que sa présence était importante. Claire en est venue à la même conclusion elle aussi: «Je me suis lancée en me disant que pour une fois, je pouvais faire quelque chose de concret, et mettre en pratique mes six années passées sur les bancs de l’université.» Bien que les bénévoles n’effectuent pas de gestes médicaux auprès des personnes, Erika Lazlo, coordinatrice de la Croix de Malte au poste de Sighetu, est contente de pouvoir compter Claire et Mégane parmi ses effectifs. «Nous avions besoin d’aide, explique cette professeure d’informatique, engagée volontairement elle aussi, c’est une bonne chose que des étudiantes en médecine aient accepté de nous en donner. Elles ont l’œil pour diagnostiquer des problèmes, et pour référer les personnes au bon service si besoin.»
Un lieu vivant
Le soleil fait quelques apparitions, mais la température n’en reste pas moins proche de zéro degré au poste de Sighetu. «Nous nous assurons que les personnes qui arrivent puissent se réchauffer dans les tentes, indique Claire, et nous leur apportons des boissons chaudes et à manger.» Certaines tentes proposent même de la nourriture pour les animaux de compagnie: «Ils sont comme des membres de la famille pour celles et ceux qui voyagent avec.»
Pour ces bénévoles, il est très important que les personnes qui arrivent sentent que le lieu est vivant. «Evidemment le fait de ne pas parler la langue limite les possibilités d’apporter un réel soutien psychologique aux gens, note Claire, mais parfois il suffit d’un geste ou d’une attitude pour se sentir accueilli et en sécurité.»
Tous les quarts d’heures environ, des groupes de quatre à cinq personnes arrivent aux portes de la Roumanie via le poste de Sighetu. «Certain·es savent exactement où ils vont, explique Mégane, d’autres ont besoin de plus d’accompagnement pour trouver des transports et des hébergements.» Tout au long de la journée, des personnes arrivant d’ailleurs en Europe apportent des vivres, et se portent volontaires pour prendre avec eux des réfugié·es sur le chemin du retour.
«Très reconnaissantes envers la Roumanie»
C’est le cas de Jill Hedinger Székely et de Christophe Peytremann, qui sont venus de Suisse romande à deux camions: «Nous sommes arrivés hier soir en Roumanie avec deux autres ami·es.» A peine après avoir déposé des vivres et des produits d’hygiène, le groupe repart avec treize personnes en attente d’un transport pour l’Allemagne. Parmi ces passagers, la jeune Julia et sa maman ont dû fuir Irpin, près de Kiev, après que leur immeuble ait été bombardé: «Nous sommes très reconnaissantes envers la Roumanie de nous ouvrir ses portes, s’exclame Julia, et envers ces bénévoles qui nous conduisent jusqu’à Munich.» Quelques jours plus tard, nous apprendrons par le biais de Christophe Peytremann, que le père de Yulia – un militaire ukrainien – est mort au combat sur le front d’Hostomel, au nord-ouest de la capitale. Comme elles, des centaines de milliers d’autres personnes sillonnent désormais l’Europe après avoir tout perdu. Des personnes en quête de sécurité, de réconfort, et d’un avenir meilleur, qui devient presque réalité le temps d’un mot, d’un geste, ou d’une accolade échangée aux frontières.
Photos: Jean-Patrick di Silvestro