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«Une politique étatique d’arménophobie»

Au moment où l’UE se tourne vers l’Azerbaïdjan en vue de diversifier ses sources énergétiques, le régime de Bakou, récemment épinglé par le parlement européen pour destruction de l’héritage arménien dans le Haut-Karabakh, vient de couper le gaz aux habitant·es de la petite enclave à majorité arménienne, dénonce Alexis Krikorian.
Haut-Karabakh

Le 10 mars, le Parlement européen a adopté à la quasi-unanimité une résolution historique condamnant fermement la politique de l’Azerbaïdjan consistant à effacer et nier l’héritage culturel arménien du Haut-Karabakh (Artsakh), en violation du droit international et de l’arrêt de la Cour internationale de justice du 7 décembre 2021 ordonnant à ce pays de prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher et punir tout acte de dégradation et de profanation.

Le texte souligne que l’effacement de l’héritage culturel arménien dans la région s’inscrit dans le cadre d’un projet plus large d’une politique étatique d’arménophobie systématique, de révisionnisme historique et de haine à l’égard des Arméniens promue par les autorités ­azerbaïdjanaises.

Enfin, la résolution appelle l’Azerbaïdjan à renoncer à ses objectifs maximalistes, à son approche militariste et à ses revendications territoriales à l’égard de l’Arménie et à s’engager de bonne foi dans des négociations sous les auspices du Groupe de Minsk de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) sur le statut final du Haut-Karabakh.

Le fait que l’UE cherche à diversifier ses approvisionnements en énergie à cause de la guerre en Ukraine ne peut en aucun cas signifier donner un blanc-seing à l’autocrate de Bakou. Cela peut sembler un vœu pieu quand on sait par exemple que Mario Draghi, le chef du gouvernement italien, a parlé au président azerbaïdjanais Ilham Aliev au téléphone le 8 mars 2022 pour renforcer la coopération entre l’Italie et l’Azerbaïdjan dans le domaine énergétique, et que c’est précisément ce jour-là que l’Azerbaïdjan a choisi pour couper l’alimentation en gaz des 120 000 habitant·es de l’Artsakh alors qu’une vague de froid sévit dans le pays. L’Azerbaïdjan empêchant toute réparation du gazoduc, la population vit dans le froid sans aucune commodité depuis des jours. Dans le même temps, des villages frontaliers de l’Artsakh sont attaqués par les armes et terrorisés par les forces azerbaïdjanaises qui leur demandent de partir au haut-parleur. L’idée est simple: vider ­l’Artsakh de sa population autochtone.

Alors que l’attention du monde se porte presque exclusivement sur la guerre russe en Ukraine et ses conséquences dévastatrices, il ne se trouve personne pour simplement parler ou condamner ces agissements criminels en ­Artsakh.

Il faudrait cependant que cette résolution non contraignante du parlement européen sorte du champ moral et incite les différents exécutifs européens à condamner la politique azérie en des termes équivalents à ceux de la résolution elle-même et à ceux qu’ils emploient eux-mêmes (à juste titre) pour la population ukrainienne à des fins de cohérence et de crédibilité. Le deux poids, deux mesures, cela suffit! La population de l’Artsakh est en grand danger. La meilleure garantie pour que ce peuple puisse vivre en paix et en sécurité sur ses terres historiques est d’enfin lui accorder la sécession remède. Au fond, tout le monde le sait. Une pétition1>Pétition en ligne sur Change.org; accès: https://bit.ly/3i7t7jj en ce sens ayant recueilli plus de 20 000 signatures avait été adressée au Conseil fédéral au moment de la guerre des 44 jours en 2020. La réponse se fait toujours attendre. Après le temps des paroles, nous avons besoin d’actes!

Notes[+]

*Alexis Krikorian est cofondateur de l’ONG Hyestart, basée à Genève, active dans la défense des droits humains en Arménie et dans les pays voisins.

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