La foule solidaire de l’Ukraine
C’est une manifestation qui, samedi à Genève, a négocié l’unité par-delà les différences de sensibilités. Entre pacifisme et exaltation de la résistance du peuple ukrainien face à l’agresseur russe. Entre accents nationalistes et internationalisme anti-impérialiste.
Il y a unanimité sur le soutien aux populations civiles qui souffrent, sur l’exigence de mettre fin aux combats, d’ouvrir des couloirs humanitaires et d’accueillir les réfugiés sans conditions. Bloquer les avoirs des oligarques russes abrités dans les coffres-forts des banques suisses est aussi une priorité. La fermeture de l’espace aérien est réclamée par les Ukrainien·nes.
Le rassemblement, avant de drainer entre 3000 et 4000 personnes vers la place des Nations, débute à 14h30, place de Neuve. Sur le parvis du Grand Théâtre, deux banderoles proclament «Genève soutient l’Ukraine» et «Féministes contre la guerre». Le Comité Ukraine créé pour l’occasion fédère largement, d’Ensemble à gauche aux Verts’libéraux en passant par le Parti socialiste, le Centre, les Vert-e-s les syndicats, le Groupe pour une Suisse sans Armée (GSsA) et le réseau d’écrivain·es PEN International.
«Cette guerre n’oppose pas deux nations: c’est un génocide contre le peuple ukrainien!», scande une Ukrainienne de la diaspora. «Freedom is more precious than Gas», «No Putin No War», «Soldat russe, déserte!» Aux côtés des pancartes rivalisant d’insultes à l’égard du maître du Kremlin et se solidarisant avec les civils, un montage photographique met en parallèle les destructions en Ukraine et au Yémen: rappel que certains massacres attirent davantage l’attention que d’autres…
La foule écoute les discours avec gravité (lire plus bas). On est venu en famille, toutes sensibilités confondues, même si la droite sera restée muette ce samedi, à l’exception des Vert’libéraux.
«Ma fille s’inquiète pour ses grands-parents»
Victoria, ukrainienne, vit à Genève avec son mari employé dans une multinationale. Elle est venue manifester avec sa fille de 8 ans, expliquant dans un anglais sommaire être en contact permanent avec la famille restée au pays. «A la vue des infos, ma fille s’inquiète pour ses grands-parents. Quand elle pleure, j’essaie de la rassurer.»
Plus loin, on croise Alicia et Emilia, une mère et sa fille polonaises venues de Lausanne. «J’ai perdu de la famille à Auschwitz, raconte Alicia. Tout notre historique familial est marqué par la folie meurtrière d’hommes comme Poutine.» Inscrite dans une école internationale, Emilia évoque les tensions, les profs qui redoutent la politisation des débats, et ses camarades russes opposés comme elle à la guerre. «Depuis trois ans, on a eu le réchauffement climatique, le covid et maintenant la guerre. J’aimerais juste avoir une vie d’adolescente normale.»
Appel au cessez-le-feu
Le cortège traverse les Rues Basses en silence. Un drapeau géorgien exprime la solidarité des peuples du Caucase face à l’impérialisme du Kremlin. La foule s’engage sur le pont du Mont-Blanc. Un drapeau arc-en-ciel frappé du mot Pace (paix) se détache sur le ciel azur. On aborde Neil et Nat, 15 ans, bardé·es d’insignes pacifistes. «On veut que ça s’arrête. La mort, les familles entières qui doivent quitter leurs maisons, c’est dur de vivre avec la joie.» Guerre, urgence climatique, souffrance humaine et animale… «On se sent impuissant·es face à tout ça, mais on peut faire des choses à notre niveau. Comme aller à la Banque alternative plutôt qu’à l’UBS ou Credit Suisse, qui détruisent la planète». A voir la mobilisation des jeunes aux côtés de leurs aîné·es, on se prend à espérer.
MARÉE DE JAUNE ET BLEU À LA PLACE DE NEUVE
«Le choix est entre la démocratie et l’autocratie. Donnez-nous des armes pour nous défendre!» Parmi les prises de parole, samedi, celle de Tamara rappelle brutalement les conditions imposées par la guerre. Cette jeune réfugiée ukrainienne raconte avec émotion et en français la fuite, face aux bombardements sur Kiev qui l’ont réveillée au milieu de la nuit. «Les sanctions ne marchent pas avec Poutine. Désolée mais il s’en bat les c…» Ovation. Dans la foule, le jaune et le bleu fleurissent comme les coiffes traditionnelles dans les cheveux de jeunes femmes.
Frédérique Perler, maire de Genève, exige la fin des hostilités et souligne le rôle de la ville comme capitale des droits humains, dépositaire des conventions protégeant les civils et siège des Nations unies.
Stéfanie Prezioso, conseillère nationale de la gauche de la gauche, rappelle que «l’impérialisme russe pousse ses pions depuis huit ans, avec l’annexion de la Crimée et le soutien aux séparatistes du Donbass». Elle appelle à soutenir les forces démocratiques en Ukraine, mais aussi au Bélarus et au Kazakhstan. «En Suisse, il faut demander des comptes aux secteurs de la finance et de l’extraction, pour que les fortunes des oligarques cessent de trouver refuge dans les banques de Genève, Zoug et Zurich!» La foule acquiesce bruyamment.
Selon Sylvain Thévoz, député socialiste au Grand Conseil, Genève peut faire beaucoup en mettant ls pression sur le Conseil fédéral pour l’accueil des réfugié·es. «Il faut interdire l’atterrissage des jets privés des oligarques russes sur le tarmac de l’Aéroport international de Genève, bloquer leurs avoirs et sanctionner les banques» qui traitent avec eux.
Le GSsA, par la voix de Tobia Schnebli, insiste sur le droit des peuples agressés à se défendre, y compris par les armes, tout en renvoyant dos à dos «la loi du plus fort de la Russie en Ukraine et celle des Etats-Unis et de l’OTAN en Afghanistan, en Irak, en Libye, avec leurs conséquences désastreuses». Dénonçant la logique de «réarmement massif» et «d’injonction militariste», le GSsA appelle à lutter contre les causes des guerres, au premier rang desquelles «la famine et la pauvreté». Face au danger posé par le bombardement d’une centrale en Ukraine par les forces russes, le militant plaide pour un «désarmement nucléaire global».
Paolo Gilardi, du Syndicat des services publics (SSP), dénonce à son tour l’escalade symbolisée par la rupture historique de l’Allemagne avec sa doctrine militaire: ce sont désormais 2% de son PIB, soit 100 milliards d’euros supplémentaires, qui seront consacrés à la défense. «Comme si les armes étaient la solution!» Voilà bien un point de discorde dans la solidarité avec l’Ukraine. Armer au risque de prolonger le conflit, ou miser sur les sanctions et le désarmement?
Pour la Grève féministe suisse, répondant à l’appel international des féministes russes, il ne fait aucun doute que la guerre frappe d’abord les femmes et les minorités de genre; «des vies gâchées et de l’insécurité pour nous touxtes», lance Fabienne Abramovich. Et de condamner «toutes les forces nationalistes, conservatrices et fascistes qui réduisent les femmes à leur fonction reproductive et renforcent l’idée de la nation essentialiste». Applaudissements et grincements de dents, aussi.
Une femme ukrainienne s’empresse de rappeler que «des femmes luttent aussi les armes à la main» dans son pays. L’hymne ukrainien recouvre les dissonances, «Slava Ukraini!» («gloire à l’Ukraine») est scandé avec ferveur, le cortège s’ébranle. RMR
en suisse, des milliers de manifestant·es contre la guerre
Des milliers de personnes ont manifesté samedi dans plusieurs villes de Suisse contre la guerre en Ukraine. Près de 3500 personnes se sont mobilisées à Genève. A Zurich, les organisateurs estiment la participation à quelque 40’000 personnes.
A Zurich , les participant·es ont défilé, souvent en silence, au centre-ville, sous le slogan « La paix maintenant ». Ils et elles ont exigé un cessez-le-feu immédiat, des négociations diplomatiques et le retrait des troupes russes ainsi que des mesures de désarmement et de contrôle de l’armement.
Les syndicats, le PS et les Verts, notamment, avaient appelé à cette manifestation autorisée. Les organisateur·ices s’attendaient à ce qu’elle rassemble jusqu’à 20’000 personnes: selon leur décompte, elles étaient plus de 40’000 lors du rassemblement final.
Vania Alleva, présidente du syndicat Unia, a exigé que les réfugiés de guerre soient accueillis en Suisse sans réserve – même s’ils proviennent d’autres guerres. L’auteur russe Mikhaïl Chichkine, installé à Zurich, a souligné que « la Russie n’est pas Poutine ». Selon lui, Poutine déteste les Ukrainiens parce qu’ils ont choisi la voie de la démocratie.
Mattea Meyer, coprésidente du PS Suisse, a exigé que l’on coupe maintenant le « robinet d’argent à Poutine ». Le conseiller national Balthasar Glättli (Verts/ZH) a souligné que « tant que nous continuerons à acheter des matières premières à la Russie, nous n’aurons pas tout fait pour arrêter cette guerre ».
A Berne, près de 1000 personnes se sont rassemblées dans l’après-midi sur la Place fédérale à l’appel de la Société ukrainienne en Suisse. Sous le slogan « Arrêtez la guerre de Poutine maintenant, demain il sera trop tard ! », les manifestant·es ont tendu un long drapeau ukrainien à travers la Place fédérale.
L’ambassadeur ukrainien en Suisse a exprimé sa reconnaissance pour le large soutien apporté: « L’Ukraine n’est pas seule ». Les ambassadeurs de Pologne et de Géorgie ont aussi pris la parole pour dire leur appui.
A Saint-Gall, quelque 1500 personnes ont marché pacifiquement à travers la ville. Le cortège était muni de nombreux drapeaux aux couleurs jaune et bleu et de banderoles sur lesquelles on pouvait lire: « Stop Poutine », « Liberté », « Paix pour l’Ukraine » ou « Refugees Welcome » (« réfugiés bienvenus »).
Des milliers de manifestant·es sont également à nouveau descendu·es samedi dans les rues de grandes villes européennes, comme à Paris, où la foule s’est rassemblée sur la place de la République, Rome, Londres et Zagreb. ATS