Édito

Défaites de Russie

Défaites de Russie
Le tsar du Kremlin a joué son va-tout: incapable d’arracher l’Ukraine à la zone d’influence occidentale et, à terme, à l’OTAN, il a posé sur la table la carte de la sécession. KEYSTONE/ARCHIVES
Russie-Ukraine

L’Ukraine post-soviétique a probablement vécu. Après le départ de la Crimée en 2014, la reconnaissance lundi par Moscou des républiques séparatistes de Louhansk et de Donetsk semble rendre caduc le processus des accords de Minsk (2014-2015), qui devait assurer le maintien des frontières ukrainiennes (hors Crimée) dans le respect de la minorité russophone du Donbass.

Vladimir Poutine a accepté d’en porter la responsabilité ultime. Le tsar du Kremlin a joué son va-tout: incapable d’arracher l’Ukraine à la zone d’influence occidentale et, à terme, à l’OTAN, il a posé sur la table la carte de la sécession. Affaiblir l’adversaire – à défaut de le réduire – et s’afficher, devant son peuple, en protecteur de tous les Russes: la stratégie avait déjà été employée en Géorgie. Il l’a assaisonnée, pour l’occasion, d’un discours Grand-Russe des plus agressifs.

L’opération ne devrait pourtant pas masquer une défaite géopolitique: à moins d’une peu vraisemblable extension du conflit vers l’ouest de l’Ukraine, le rattachement de fait des deux microrépubliques à la Russie se solde par la sortie de près de 40 millions d’Ukrainien·nes de sa zone d’influence, et ce même si les séparatistes parvenaient à arracher l’entier du Donbass.

A cette perte d’influence s’ajoutera la facture sans doute salée que le bloc occidental présentera à Moscou sous forme de sanctions économiques. A moins que la crainte de pousser définitivement la Russie dans les bras de la Chine ne les dissuade d’une fuite en avant. Un scénario où tous seraient perdants, car Vladimir Poutine ne manquera pas de prolonger le conflit ukrainien afin de conserver une monnaie d’échange.

Dans ce contexte, voir la Suisse s’aligner sans nuances sur le camp occidental ne serait pas une bonne nouvelle. En 2014, Didier Burkhalter avait su jouer les modérateurs. Berne serait-il capable aujourd’hui de pousser à un compromis?

Au-delà de la Realpolitik, ce serait aussi un certain retour à la raison. Car si la Russie s’est bel et bien assise sur le droit international, elle n’est de loin pas l’unique responsable de ce dénouement tragique pour toute la région. Inflexibles dans le refus d’un statut de neutralité de l’Ukraine, Kiev et Washington savaient le risque encouru. Les Occidentaux, y compris les gesticulateurs de dernière minute allemand et français, peuvent bien pleurer la faillite de la diplomatie, ils n’ont rien fait, depuis 2014, pour amener leur allié ukrainien à respecter les accords de Minsk, notamment en conférant une autonomie institutionnelle au Donbass.

Enfin, si Vladimir Poutine a bel et bien pris le risque de porter un nouveau coup de canif aux frontières issues de la fin de l’URSS, le camp occidental, faut-il le rappeler, lui avait montré l’exemple à plusieurs reprises. De la reconnaissance de la Croatie et de la Slovénie par l’Allemagne en 1991 jusqu’à celle, étasunienne, en 2019, de l’annexion du Golan par Israël, en passant par l’indépendance du Kosovo ou encore le démembrement de l’Irak et de la Syrie en protectorats US et turc, on constatera que la souveraineté à géométrie variable est un concept largement partagé. Quand on veut s’armer de principes, il faut d’abord se les appliquer à soi-même.

Opinions Édito Benito Perez Russie-Ukraine

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