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Santé: les coûts des uns, les profits des autres (2/2)

Dans le second volet de sa réflexion sur le secteur hospitalier, le secrétaire syndical David Gygax examine le poids toujours plus important des cliniques privées, dont la stratégie consiste en l’affaiblissement de l’hôpital universitaire afin d’en capter les catégories les plus lucratives de patient·es.
Vaud

Pandémie ou non, le paysage hospitalier continue de se modifier sous les assauts coordonnés des marchands de santé et des politiciens à leur service. «En 2019, la Suisse comptait 281 hôpitaux et cliniques, soit 83 de moins qu’en 2001. Cela correspond à un recul de 23% en dix-huit ans. (…). Les établissements publics ont été davantage touchés par ce processus que les cliniques privées.» «Il y a 63% moins de lits d’hôpital pour 100 000 habitants qu’en 1982.» Les constats sont de H+, l’organisation faitière des hôpitaux suisses. C’est peu dire que le processus va se renforcer ces prochaines années, si l’on tient compte des dynamiques à l’œuvre dans le secteur. Non seulement la suppression et la concentration des hôpitaux va se poursuivre, mais elle s’accompagnera aussi, si rien ne change, d’une place toujours plus grande occupée par les entreprises privées. Celles qui ont pour objectif assumé de faire du profit avec la prise en charge de leurs patient·es. Ces «hôpitaux à but commercial», selon la terminologie officielle, sont remboursés par l’assurance-maladie obligatoire (45%) et par les cantons (55%) pour certaines de leurs prestations. Pour bénéficier du financement public de ces prestations, ces cliniques doivent figurer sur la liste hospitalière, une liste établie par les autorités cantonales.

Dans le canton de Vaud, cette liste est actuellement en cours de révision. Et cette révision n’annonce rien de positif pour les hôpitaux publics ou les hôpitaux dits «privés à but idéal». En organisant la concurrence entre les hôpitaux, les autorités fédérales n’ont pas oublié de favoriser les acteurs privés: ceux-ci peuvent choisir pour quel type d’interventions ils souhaitent figurer sur la fameuse liste. En choisissant donc délibérément les interventions pour lesquelles il est possible d’industrialiser le processus (disponibilité de personnel, rentabilisation de l’infrastructure, etc.). L’hôpital public, quant à lui, n’a pas ce choix: par son mandat, il doit accueillir toutes les patientes et tous les patients, rentables ou non. Dès lors, la «concurrence» voulue par le système de financement ne s’effectue que pour certaines prestations, celles sur lesquelles les cliniques ont un avantage. Par ailleurs, en cas de complications sur l’une des interventions des cliniques, c’est bien vers l’hôpital public que l’on achemine le ou la patient·e en raison d’un plateau médical plus large et de compétences étendues. Il ne s’agit donc de rien d’autre que du bon vieux principe «socialisation des coûts, privatisation des bénéfices».

Malgré cet «avantage comparatif», les cliniques cherchent à affaiblir leurs concurrents. C’est la raison pour laquelle elles avaient fait déposer par le Parti libéral-radical vaudois une initiative visant à autonomiser le CHUV: ce concurrent est en effet toujours «trop fort» pour de nombreuses raisons. Il faut donc «dégraisser le mammouth», c’est-à-dire affaiblir l’hôpital universitaire pour réduire son attractivité et récupérer une partie de sa patientèle. Si l’initiative du PLR a été abandonnée (une partie des propositions ont été acceptées et intégrées par le Conseil d’Etat), la pression reste forte pour réduire les moyens alloués à l’hôpital public.

Dans le cadre actuel, il n’y a pas de bonne solution pour la santé publique. Il s’agit, dans l’immédiat, de lutter dans deux directions: pour que les moyens alloués à l’hôpital public augmentent significativement d’une part, et pour limiter autant que possible l’accès des marchands de santé (les cliniques et leurs actionnaires) aux prestations remboursées par l’assurance obligatoire d’autre part. A moyen terme, il faudra bien constater les effets dévastateurs du financement hospitalier actuel et rassembler de larges forces politiques et sociales pour porter un changement radical de système, qui permette le développement d’une véritable santé publique de pointe et de proximité, accessible à toutes et tous et assurant aux salarié·es qui y travaillent le respect du sens de leurs métiers.

* Secrétaire syndical du Syndicat des services publics (SSP), Vaud.

La première partie de cette réflexion, parue le 18 janvier, est à retrouver sous: https://lecourrier.ch/theme/agora/

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