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Droit du sang? Droit du sperme!

L'Impoligraphe
Le parlement fédéral a, comme on pouvait s’y attendre (et on s’y attendait), refusé de substituer au «droit du sang», qui reste le fondement du droit de la nationalité dans notre pays, le «droit du sol», héritage républicain français, doublement suspect puisque républicain et français. Et si la gauche (suisse et française) peut tirer fierté de défendre le droit du sol, il y a en même temps de quoi être inquiet de son abandon par une droite républicaine française (car elle existe, ou elle existait) de plus en plus à droite et de moins en moins républicaine, puisque à la poursuite de cette part de son électorat passée dans les escarcelles de Le Pen ou Zemmour – l’une et l’autre proposant d’ailleurs l’abolition du droit du sol et le retour vichyste au droit du sang.

Le droit du sang, c’est celui de la transmission de la nationalité par héritage de la nationalité des parents – et, traditionnellement, du père, même si cet transmission par le sperme a été privée de son caractère exclusif au fur et à mesure qu’on acceptait de faire quelques pas en direction de l’égalité de la mère et du père, ne serait-ce que parce que si on ne peut guère avoir de doute sur l’identité de la mère, on peut toujours en avoir un sur celle du père. Reste que le droit du sang, droit du sperme, est lui aussi un héritage, celui du patriarcat.  Et de la tribu. Le droit du sol, que résume la formule «je suis né·e ici, je suis citoyen·ne d’ici», c’est la réponse républicaine à cet héritage. La réponse de la nation à la tribu. Ces rappels faits, confrontons-nous un peu à la réalité du processus de naturalisation en Suisse.

Pour obtenir la nationalité helvétique (avec la citoyenneté cantonale et le droit de cité municipal qui vont avec), on a certes une législation fédérale, qui fait cadre général, mais aussi 26 législations cantonales et près de 2000 pratiques municipales différentes. Avec des disparités qui sont, en fait, des inégalités dans l’accès à la nationalité, des exigences contradictoires, souvent arbitraires, toujours coûteuses. On a réglé une partie du problème en Ville de Genève en supprimant un échelon et une étape parasitaires de la procédure (non sans avoir entendu bramer au Conseil municipal des élus MCG niant à des conseillères municipales devenues suisses par naturalisation le droit de s’exprimer): la commission municipale de naturalisation (qui ne décidait de rien, ralentissait la procédure et y ajoutait de la subjectivité pour le seul plaisir de ses membres). Mais l’essentiel du travail reste à faire, comme en témoigne l’excellente série de la télé publique, La Fabrique des Suisses, diffusée sur la RTS.

Petit exemple, en passant (au large): la commission municipale des naturalisations de la riante (on le suppose, du moins) commune schwytzoise d’Arth a refusé d’accorder la nationalité suisse à un Italien vivant en Suisse depuis trente ans parce qu’il ne savait pas que les loups et les ours du parc animalier de la région partageaient le même enclos. Fin janvier, c’est le Tribunal fédéral qui a tranché: on ne peut pas refuser la nationalité suisse à quelqu’un pour une raison aussi futile, une telle décision violant le principe de l’interdiction de l’arbitraire. Une décision «salutaire», commente la conseillère nationale Ada Marra (PS, Vaud). Et les socialistes relancent au parlement le débat sur les procédures de naturalisation.

Cela s’impose, en effet: ce processus diffère d’un canton à l’autre et d’une commune à l’autre. Ici, l’instance décisionnaire de fait est le canton; là, la commune, qui fait passer un véritable examen au candidat ou à la candidate et a un poids déterminant. A Genève, c’est le canton qui décide, mais certaines communes continuent de se doter d’une commission municipale des naturalisations, qui ne délivre plus que des préavis (et même des préavis de préavis), d’autres (à commencer par celle de Genève) s’en passent fort bien (on continue d’ailleurs de s’autocongratuler pour avoir contribué à supprimer cet appendice superfétatoire – et même nuisible).

«L’état de droit exige une égalité de traitement. Et par rapport aux demandes de naturalisation, on en est loin», résume Ada Marra. Et cette inégalité ne va pas se réduire, si on en juge par la loi acceptée en vote populaire en Argovie après un référendum lancé par la gauche: elle exclut la naturalisation de toute personne ayant bénéficié d’une aide sociale dans les dix ans précédant sa demande (alors que la loi fédérale n’exige que trois ans). Comme le résume une députée socialiste, la pauvreté devient un délit. Salauds de pauvres, salauds d’étrangers… Alors vous pensez, des étrangers pauvres…

Joyeux Noël et bonnes fêtes de fin d’année, à part ça. Et si vous vous apercevez qu’un mendiant s’est glissé dans la crèche entre l’âne et le bœuf, à côté du chti Jésus (il aura de la peine à obtenir une nationalité par le droit du sang, celui-là…), n’hésitez pas à le dénoncer à la police. Au cas où la chasse aux mendiants lui laisserait un peu de temps.

* Conseiller municipal carrément socialiste en Ville de Genève.

Opinions Chroniques Pascal Holenweg L'Impoligraphe

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lundi 8 janvier 2018

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