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Le droit, les bons, l’aumône: fable genevoise

L'Impoligraphe

Dans un mélange assez pitoyable de mépris social et de clientélisme corporatiste, la majorité de droite et d’extrême droite du Conseil municipal de la Ville de Genève avait, l’année dernière, décidé d’imposer le versement sous forme de bons (valables uniquement dans les commerces de la Ville acceptant de se prêter à cet exercice), et non plus de virement monétaire, de l’allocation de rentrée scolaire accordée aux familles qui y ont droit (parce qu’elles en ont besoin). Or la limitation de la validité de ces bons à des commerces de la seule Ville a été considérée par la Commission fédérale de la concurrence comme contraire aux lois fédérales – la COMCO se gardant bien de se prononcer sur le fond de la démarche consistant à transformer une allocation sociale en aumône clientéliste. Du coup, le règlement municipal modifié par la droite et l’extrême droite se retrouve invalide, et doit être à nouveau modifié.

Ce serait l’occasion pour le Conseil municipal de revenir à un système d’allocation simple, efficace et respectueux de ceux et celles à qui il s’applique. La gauche lui a proposé d’au moins en étudier la possibilité, la droite l’a refusé; il va donc falloir passer à la vitesse supérieure. On a dans un premier temps, celui de l’urgence, lancé une pétition réitérant la même demande que celle faite au Conseil municipal, histoire de rappeler aux élus municipaux qu’une allocation n’est pas une aumône, et que celle-là est, pour autant qu’on en remplisse les conditions, un droit: d’un montant fort modeste (130 francs par an par enfant à l’école primaire, 180 francs par enfant au Cycle d’orientation), elle est versée aux familles domiciliées en Ville de Genève bénéficiant pour leur(s) enfant(s) du subside cantonal d’assurance-maladie. Les familles aux revenus les plus modestes, donc (2571 familles, pour 3838 enfants, en 2016).

La droite municipale a toujours eu cette mesure sociale dans le collimateur: elle a à plusieurs reprises tenté de la supprimer, puis de la réduire, puis de réduire la ligne budgétaire la finançant (542 840 francs en 2016 – on votera d’ailleurs, le 4 mars, contre la réduction de plus de 90 000 francs de cette ligne au budget 2017). C’est donc faute d’arriver à la supprimer qu’au sein du PLR (suivi, évidemment, par l’UDC et le MCG, et, plus étrangement, par le PDC) a germé l’idée géniale de la transformer en aumône méprisante distribuée sous forme de bons valables chez les commerçants de la Ville de Genève (et pas d’ailleurs) qui condescendent à les accepter. Transformation recalée par la COMCO, donc.

Du coup, le prétexte, allégué par les auteurs de la proposition, du soutien aux commerçants de la Ville, se retrouve dissout dans sa propre insignifiance, et il ne reste plus comme motivation de cette modification que celle de bien faire comprendre aux bénéficiaires de ces aides en quel pesant mépris on les tient.

Le Conseil administratif n’en a pas moins décidé d’appliquer ce qu’il reste de la décision du Conseil municipal («Ce n’est pas une chose rare qu’il faille reprendre le monde de trop de docilité», comme disait Pascal  l’autre, le janséniste) et de mettre en place pour complaire à la nouvelle disposition règlementaire des «cartes électroniques de dépenses» et «un réseau de commerces partenaires», réseau qui ne comprendrait pas l’ensemble des commerces de la Ville mais seulement ceux qui seraient d’accord d’y participer, mais pourrait en revanche comprendre des commerces de toute la Suisse, de La Plaine à Romanshorn et des Rangiers à Chiasso, en imposant à la Ville de Genève une charge administrative et bureaucratique, et donc des dépenses, parfaitement inutiles et inefficaces, confinant même à l’absurdité, en sus d’être lourdement marquée de mépris social.

Plutôt que de bricoler une telle usine à gaz, il conviendrait d’en revenir à un système simple, efficace et respectueux de ceux et celles à qui il s’applique. C’est ce que nous avons demandé, et que demande la pétition que nous avons lancée. Alors bon, d’accord, faut faire avec la droite qu’on a – après tout, ses électeurs la méritent. Mais y’a des jours, des semaines, des mois, même, où un léger voile de lassitude embrume nos regards compatissants: on s’était dit que, là, elle a touché le fond, mais on la voit encore creuser…

* Conseiller municipal carrément socialiste en Ville de Genève.

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lundi 8 janvier 2018

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