On nous écrit

Des mots dénaturés

Jean-Jacques Maillard réagit à un récent courrier de lecteur.
Pandémie

Dans sa lettre de lecteur, parue dans votre édition du 22 novembre, M. Alain Rouget estime que les mots «liberté» et «discrimination» ont été particulièrement galvaudés durant cette crise sanitaire. J’aimerais y ajouter le mot «solidarité», leitmotiv de la campagne du Conseil fédéral en faveur de la vaccination du dernier tiers des habitants de la Suisse.

Pour moi, on parle de solidarité lorsque les mieux lotis viennent en aide aux plus démunis, aux victimes de guerres, de ségrégation, mais aussi d’accidents climatiques, tremblements de terre ou inondations par exemple. Dans le cas de la pandémie, je parlerais de solidarité au sujet des bénévoles qui se sont organisés pour fournir de la nourriture au plus démunis, des jeunes qui faisaient les courses pour les aînés ou encore des livreurs et des éboueurs qui ont pris le risque de continuer d’assurer un service au public et surtout du personnel hospitalier avec qui la population s’est solidarisée chaque soir par de longs applaudissements.

Des observations, j’en oublie sans doute, que chacun a pu faire durant la première vague du Covid-19. A mon sens, c’est durant cette période seulement qu’on a pu vraiment parler de solidarité en matière de pandémie. Parce qu’après, il y a eu le vaccin…

Fondamentalement, obtenir des vaccins de qualité dans un délai si court, fut une formidable réussite de la recherche et du génie créateur… avec beaucoup d’argent public. A cette réussite, on aurait aimé pouvoir associer le mot solidarité. Malheureusement, vaccin et solidarité sont, dans ce cas, deux mots qu’il est impossible d’accoler. En effet, immédiatement après leur mise sur le marché, les premiers vaccins, les plus efficaces, ont été littéralement confisqués par les pays riches. Et si le Conseil fédéral se plaint d’avoir «seulement» 2/3 de vaccinés, le taux dans les pays du tiers monde est aujourd’hui d’environ 6%.

En plus, ces mêmes pays riches, dont la Suisse, ont repoussé la demande de levée des brevets, qui aurait permis de produire ces mêmes vaccins librement. De leur côté, les pharmas ont accumulé des bénéfices faramineux, merci pour elles.

Depuis quelques mois, on demande à ceux qui ne le sont pas encore de se faire vacciner par solidarité. Si j’ai bien compris, il s’agit donc de protéger encore mieux la majorité qui est déjà protégée… Drôle de solidarité. Je suis vacciné depuis le début de l’année et j’étais parmi les premiers. Pour moi, et probablement aussi pour beaucoup d’autres, il s’agissait simplement de me prémunir contre le virus. A aucun moment, il ne fut question d’un geste de solidarité. D’autres ont choisi de ne pas se faire vacciner. C’est leur choix et je le respecte.

En fonction de ce qui précède, j’ai donc beaucoup de mal à comprendre le message du Conseil fédéral qui galvaude ce mot «solidarité» qu’il eut pu employer avantageusement pour le personnel infirmier, pour les enfants exploités par les multinationales, pour les immigrés, enfin tant d’autres occasions de l’utiliser à bon escient.

Jean-Jacques Maillard, Genève

 

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