Chroniques

Marc Perrenoud, ou Métier d’historien

À livre ouvert

Depuis maintenant une année, le rôle de la Suisse et des industriels suisses durant la Seconde Guerre mondiale a gagné une certaine actualité. Outre-Sarine, et en particulier dans le canton de Zurich, un débat mauvais entoure la phénoménale collection d’art du fabriquant d’armes Emil Bührle transférée au Kunsthaus de Zurich. Les enjeux sont colossaux – la collection a une importance mondiale – et la question réveille des démons que l’on pensait endormis. Il est désormais clair, au-delà des cercles historiens, que le travail de mémoire sur la Suisse du dernier conflit mondial n’a pas été achevé: le fameux rapport Bergier, ignoré avant même sa publication finale, n’a pas été suffisamment lu, débattu, discuté malgré ses indéniables qualités.

C’est – par coïncidence – dans ce contexte que paraît un recueil à l’hommage de l’historien neuchâtelois Marc Perrenoud, Migrations, relations internationales et Seconde Guerre mondiale. Il s’agit d’une sélection de ses contributions à l’historiographie suisse, réunie avec soin et avec un admirable respect par un petit groupe d’historiens romands. La trajectoire de Marc Perrenoud le vaut bien: malgré une grande précarité – pas de poste stable sur une carrière de quarante ans –, Marc Perrenoud produit une recherche d’une qualité d’orfèvre. Loin des calculs carriéristes, l’historien gratte là où le langage officiel appose les plus épaisses couches de vernis. Résistant à la tentation d’écrire l’histoire d’une évolution inévitable vers un présent sans alternative, Marc Perrenoud «nous enseigne [que l’histoire] est le produit d’acteurs de chair et de sang, de leurs stratégies, de leurs conflits, de leurs limites et de leurs contradictions, parfois de leur grandeur».

Il ne peut être question, ici, d’entrer en détail dans le livre. On retiendra la persistance de Marc Perrenoud à éclairer ce qui n’apparaît jamais au grand jour: les négociations, entre les autorités helvétiques et les autorités italiennes, pour obtenir de la main-d’œuvre de qualité, corvéable et surtout jetable dès lors que la conjoncture économique décélère; la stratégie payante d’accommodation des milieux d’affaires comme des autorités suisses vis-à-vis de l’Allemagne nazie où opportunisme, coopération volontaire et contrainte sont difficilement distinguables; l’abandon par les autorités helvétiques de citoyens suisses de religion juive arrêtés, déportés et assassinés par le régime nazi. Quelques exemples qui donnent le ton d’une production intellectuelle multifacette. Et pourtant, à quelques rares exceptions où les lignes se brouillent face aux plus tragiques situations, la plume de Marc Perrenoud n’est pas morale, cherche à comprendre et à expliquer plutôt qu’à condamner.

On l’aura compris, Migrations, relations internationales et Seconde Guerre mondiale témoigne de deux choses. D’une part, de l’impressionnante contribution de Marc Perrenoud à l’historiographie suisse. D’autre part, du respect profond que son travail lui a valu, sinon de la part des institutions académiques helvétiques, du moins de ses plus éminents collègues. Mais la lecture du livre a aussi une valeur spécifique en ces temps de crise: ses pages montrent que l’Etat fédéral, lorsque la nécessité émerge, pilote avec grande efficacité l’économie helvétique pour l’accorder aux défis du moment. Difficile de ne pas projeter sur la situation actuelle.

Marc Perrenoud, Migrations, relations internationales et Seconde Guerre mondiale, Neuchâtel: Alphil, 2021.

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lundi 8 janvier 2018

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