Chroniques

«Ce n’est pas la France qui est paternaliste, c’est nous qui sommes infantiles»

EST-CE BIEN RAISONNABLE?

Suffit-il de le qualifier de «nouveau» pour que le «Nouveau Sommet Afrique-France» organisé à Montpellier permette de «redéfinir les fondamentaux de la relation de la France et le continent africain», selon la terminologie officielle? Depuis sa tenue du 7 au 9 octobre dernier, les débats font rage, les avis sont partagés, des extraits des interventions des uns et des autres tournent sur les réseaux sociaux assortis de commentaires virulents. Rarement un «Sommet France-Afrique», comme s’appelaient ces rencontres jusqu’en 2010 – avant d’opter pour la variation sémantique «Afrique-France» – n’aura été aussi commenté.

C’est que, pour la première fois depuis 1973, les présidents d’Afrique francophone ont été priés de rester chez eux, pour céder leur place à des représentant·es de la «société civile» soigneusement trié·es sur le volet. On ne peut pas dire que dans les palais présidentiels, cette «petite révolution» fut appréciée. Mais ceux que leurs contestataires qualifient régulièrement de «sous-préfets de la France» se sont bien gardés d’émettre la moindre protestation.

«Un tel sommet est tout simplement scandaleux! Quel camouflet pour les chefs d’Etat de la Zone de nuisance française (ZNF) qui n’ont pourtant pas démérité», a estimé sur sa page Facebook l’ex-secrétaire général d’Amnesty International Pierre Sané, très critique à l’égard de la présence française sur le continent africain. Ainsi imaginerait-il mal le président sénégalais convoquer la société civile brésilienne pour échanger sur le futur des relations entre le Brésil et le Sénégal. «Mais bon, puisqu’il s’agit de l’Afrique, tout est permis, surtout si cela émane de la Métropole», conclut-il, tout en appelant de ses vœux des «rencontres de même niveau» entre l’Afrique et l’Europe, plutôt qu’entre la France et 14 pays francophones sur 54, parmi les plus faibles et appauvris du continent.

Ces sommets entre l’ex-Métropole et ses ex-colonies seraient-ils devenus obsolètes? Voire, car à l’heure où le très convoité continent africain fait l’objet d’une nouvelle ruée, de nombreux pays se sont inspiré du modèle français pour créer à leur tour des «sommets Afrique»: la Chine, la Russie, le Japon, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, la Turquie en décembre, et même l’Arabie saoudite en 2022. En convoquant à Paris les «acteurs du changement» pour un «Nouveau Sommet Afrique-France», Emmanuel Macron ne cherche-t-il pas tout simplement à garder la main?

En termes de contenu, les interventions des jeunes sélectionnés pour donner la réplique au président français ont été très critiquées. «Continuons de nous plaindre de l’arrogance de la France, de son paternalisme, de la marmite qui est sale, sans chercher à nous donner les moyens de prendre nous-mêmes notre destin en main, et nous serons toujours les jouets de toutes les puissances», écrit le journaliste-écrivain Venance Konan dans un éditorial au vitriol publié dans le quotidien d’Abidjan Fraternité Matin. Que penser de la création d’un fonds pour la démocratie en Afrique, doté de 30 millions d’euros sur trois ans? «Nous voulons que la France finance notre démocratie et nous ne voudrons pas plus tard qu’elle dise sont mot sur la façon dont cette démocratie se déroule?» questionne Venance Konan, avant de conclure, cruel: «Ce n’est pas la France qui est paternaliste, c’est nous qui sommes infantiles.»

Reste que le stand-up de Macron a mis en lumière le fait qu’aucun président des pays concernés n’avait jamais organisé de dialogue aussi direct et sans filtre avec ses propres jeunes. Un contraste relevé par l’écrivain ivoirien Gauz dans un tweet sarcastique: «Ainsi, nous vivons dans un monde où un enfant de Daloa ou Sikasso peut dire sans filtre au président de la France ce qu’il pense de lui, mais ne peut même pas oser penser à voix basse devant un ministre ou un simple DG de Bamako ou Abidjan!» Des jeunes qui continuent à mourir sur leur route vers l’Europe dans la plus parfaite indifférence de leur pays natal.

 

Catherine Morand est journaliste.

Opinions Chroniques Catherine Morand

Chronique liée

EST-CE BIEN RAISONNABLE?

lundi 8 janvier 2018

Connexion