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S’attaquer au cœur des inégalités

A l’âge de la retraite, les femmes sont largement discriminées. Découpler le système des retraites du niveau salarial, abolir la notion de ménage fiscal et s’attaquer aux discriminations sexistes permettraient de corriger cette disparité de genre.
Prévoyance

La difficulté majeure d’une politique féministe en matière de retraite est le fait que la situation économique et professionnelle des femmes est aujourd’hui tellement asymétrique par rapport à celle des hommes que l’atteinte de l’égalité requiert des mesures correctives massives prenant en compte le travail domestique et parental non rémunéré, mais aussi les discriminations sexistes affectant l’emploi rémunéré. Ces mesures correctrices peuvent cependant paraître renforcer la situation en soutenant des structures familiales patriarcales et doivent donc être accompagnées d’autres politiques corrigeant le problème de fond: les femmes sont moins employées et gagnent moins d’argent en Suisse. Rentes de veuves, division du deuxième pilier lors d’un divorce, rente de couple, etc. ne sont que des pansements sur cette situation beaucoup plus grave.

L’une des solutions les plus faciles à mettre en place serait déjà un vrai système assurantiel sans deuxième pilier, qui donne trop d’importance à la capacité de gain individuel. Or, cette dernière dépend de privilèges sociaux qui désavantagent non seulement les femmes, mais également les classes sociales défavorisées et les personnes non blanches et étrangères. Un système de retraite progressiste et plus égalitaire devrait ainsi assurer une retraite minimale décente à ces groupes sociaux qui assurent un travail nécessaire, mais mal reconnu, que ce soit le travail domestique, les services de nettoyage ou de soin à la personne, ou encore le personnel des services et de vente, essentiellement féminin, comme nous le rappelle chaque jour la pandémie.

Il s’agit ainsi de repenser complètement le système des retraites en le découplant du niveau salarial. Pensons la retraite comme un droit que l’on acquiert après les services rendus à la communauté, quels qu’ils soient, rémunérés ou non, et que l’on continue par ailleurs de rendre après sa retraite. Que l’on pense aux grands-parents qui s’occupent de la garde de leurs petits-enfants ou des retraité·es qui pourvoient aux soins et au soutien de leurs proches, à celles et ceux qui s’engagent en politique, dans des associations ou autres actions communautaires, la contribution sociale ne s’arrête pas avec l’octroi de la rente AVS, bien au contraire.

Un autre concept qui doit être déboulonné de nos législations est la notion de ménage (notamment fiscal). L’idée d’une unité familiale qui constituerait un interlocuteur unique dans les rapports entre institutions publiques et administré·es masque la réalité des rapports sociaux de sexe et de l’exploitation des femmes dans le cadre domestique, à la faveur des hommes. Sans corriger automatiquement la situation, une individualisation des rapports avec l’Etat visibiliserait plus précisément les inégalités et contribuerait à la prise de conscience des institutions comme des individus concernés.

Enfin, pour améliorer le système de retraite, il est évidemment nécessaire de s’attaquer frontalement aux discriminations sexistes qui créent des inégalités économiques, que ce soit au niveau de la formation, de l’embauche, ou sur les lieux de travail. Dans la formation, cela veut dire former les enseignant·es à des pratiques égalitaires à tous les niveaux (du cycle initial à l’université), revoir le contenu des matériaux d’enseignement, soutenir une orientation professionnelle non sexiste, encourager spécifiquement les femmes dans les filières où elles sont sous-représentées. A l’embauche, il faut développer les compétences d’évaluation et les procédures non discriminatoires et, le cas échéant, développer des procédures de plaintes pour discrimination plus efficaces qu’actuellement. Et sur les lieux de travail, il faut que les syndicats intègrent cet objectif et surveillent plus étroitement les inégalités dans la rémunération du personnel et les modalités de promotion notamment, mais défendent aussi des conditions de travail qui permettent à chaque personne de faire sa part de travail domestique et citoyen.

Article paru dans Pages de gauche n° 181, automne 2021, dossier «Repenser les caisses de pension», www.pagesdegauche.ch

Opinions Agora Stéphanie Pache Prévoyance Retraites 

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