«L’opposition armée n’est pas la seule forme de contestation sur place»
Monsieur le conseiller fédéral,
Au nom de l’association des jeunes Afghan·es de Suisse nommée «Zeba Watan» (belle patrie), nous souhaitons vous faire part de notre consternation à la suite de votre analyse de la situation en Afghanistan [JT du 13 septembre].
Vous avez avancé le fait que la population afghane a permis la prise de pouvoir des talibans en Afghanistan. Comme en 1996, cette mainmise du pouvoir n’a respecté aucun processus démocratique et s’est imposée brutalement aux civils afghans. Elle a été, en autres, rendue possible à la suite de l’Accord de Doha conclu entre les Etats-Unis et les talibans, et dans lequel le gouvernement légitime avait été délibérément exclu. Le soutien de certains Etats étrangers a également été conséquent dans cette prise de pouvoir1>Landrin, opinion, «Le Pakistan est le premier bénéficiaire du retour des talibans», Le Monde, 13 sept. 21,accès: bit.ly/2Zg8FXu. Leur arrivée au pouvoir soudaine a pris de court non seulement les puissances étrangères, mais également la population sur place, à l’image des scènes de panique et de désarroi de civils tentant de fuir le pays par tous les moyens.
Vous avez également mentionné le fait que la population afghane n’a pas réellement montré de résistance face à cette prise de pouvoir. Il convient de relever que l’opposition armée n’est pas la seule forme de contestation existante sur place. Des protestations pacifiques souvent menées par des femmes et rejointes par des hommes ont eu lieu dans plusieurs villes et provinces du pays2>Des protestations pacifiques ont débuté dans la ville de Jalalabad, puis à Herat, Kaboul, Mazar-e-Sharif, Faizabad, dans les provinces de Kapisa, Takhar et se sont poursuivies dans les provinces de Daikundi et de Kandahar.. La réponse à ces manifestations a été une répression violente3> «Kaboul: deux journalistes afghans arrêtés et battus par les talibans», AFP, Le Figaro, 9 sept. 21, bit.ly/3znYsEQ. Ainsi, le 8 septembre dernier, les talibans ont pris la décision d’interdire tous rassemblements considérés «illégaux»4>A. M. Makoii, P. Beaumont, P. Wintour, «Taliban ban protests and slogans that don’t have their approval», 8 sept. 21, bit.ly/3zkpI7b.
Le nouveau chef d’état-major des talibans a affirmé que «ceux qui s’opposent aux talibans, au nom de l’ethnicité et de la résistance, pour soutenir la démocratie et préserver les acquis des vingt dernières années, seront réprimés»5>J. Ronaq, «Taliban will build an army in the near future», Etilaatroz.com, 24 sept. 21, bit.ly/3AlBCyR.
Enfin, vous avez souligné que les talibans ont fait une série de promesses à la communauté internationale. Or, leurs actions ont démontré que leur régime est tout sauf respectueux des droits humains ainsi que des diversités de genre et ethniques. En effet, depuis leur prise de pouvoir, de nombreuses violations ont été observées, à savoir:
• massacres brutaux d’hommes de l’ethnie Hazara 6>«Afghanistan: Taliban responsible for brutal massacre of Hazara men – new investigation», Amnesty International, 19 août 21, bit.ly/3krhzts;
• représailles contre des manifestants7>N. Lalzoy, «We will suppress those who defend gains of past two decades: Taliban», khaama.com, 15 sept. 21, bit.ly/3ExsPMF;
• exécutions de civils dans la Vallée du Panjshir et enlèvements des ressortissants de cette province à Kaboul8>«Afghanistan crisis: Taliban kill civilians in resistance stronghold», BBC, 15 sept. 21, bbc.in/2XFB6xz;
• enlèvements et exécutions des forces de sécurité afghanes9>E. Farge, «Taliban breaking promises including over women, says U.N.», Reuters, 13 sept.21, reut.rs/3kneme7;
• violations et restrictions des droits des femmes10>Ibid;
• cabinet non représentatif de la population afghane, composé exclusivement de leaders talibans et de leurs associés, dont plusieurs membres figurent sur les listes des sanctions de l’ONU et sur la liste noire du FBI11>F. Rossi, «Le clan Haqqani, de la liste noire du FBI jusqu’au cœur du pouvoir afghan», Le Temps, 12 sept. 21,bit.ly/3zANAnf.
En prenant en compte d’une part des résistances afghanes et d’autre part des violations graves des droits humains commises par les talibans, nous demandons au Département fédéral des affaires étrangères de s’engager de manière solidaire avec les civils afghans, en tenant compte de la situation actuelle en Afghanistan. Nous souhaitons que les réalités politiques et sociales ne soient pas négligées, afin de rendre justice aux civils afghans. Enfin, nous demandons à la communauté internationale de ne pas reconnaître le régime des talibans et de contribuer à la protection des personnes en danger ainsi que de leurs droits fondamentaux.
Notes
Zeba Watan est une association à but non lucratif fondée en 2008 par des jeunes Afghan·es de la région de Genève, zeba.watan@yahoo.fr