Les murs du monde
La situation dramatique qui prévaut depuis des années dans des pays comme l’Afghanistan, la Syrie, l’Irak génère des flux incessants d’hommes, de femmes, d’enfants cherchant désespérément à fuir pour sauver leur peau. Alors que le contrôle de l’Afghanistan par les talibans fait craindre un nouvel afflux de ce qu’il est convenu d’appeler des «migrants», la Grèce annonçait à la fin de la semaine dernière avoir achevé la construction d’un mur d’acier de 40 kilomètres le long de sa frontière avec la Turquie, destiné à dissuader de nouveaux demandeurs d’asile potentiels de rejoindre l’Europe. La Turquie n’est pas en reste. Ce pays qui abrite par ailleurs 3,7 millions de Syrien·nes, est en train de construire un mur sur sa frontière avec l’Iran, pour contenir de nouveaux afflux de réfugié·es.
C’est incroyable le nombre de murs qui ont été érigés partout sur la planète au cours de ces dernières années, par des Etats soucieux de rassurer leurs populations, prouver qu’ils maîtrisent la situation. Barrières, fils de fer barbelés, murs d’acier ou de béton aux frontières se substituent désormais aux solutions politiques qui font défaut pour régler les problèmes liés à la migration, aux déplacements massifs de population, au terrorisme.
Lors de la chute du Mur de Berlin en 1989, on comptait six murs physique dans le monde, contre plus de soixante aujourd’hui. Et leur nombre ne cesse de croître. Le Mur de Berlin avait été construit pour empêcher les Allemands de l’Est de fuir à l’Ouest. Désormais, les nouveaux murs ont pour vocation non plus d’empêcher de sortir, mais bien plutôt d’entrer. Les images poignantes de personnes continuant à escalader les barbelés des enclaves espagnoles au nord du Maroc, Ceuta et Melilla, pour pénétrer en Europe, montrent pourtant que la construction de murs, là comme ailleurs, n’est pas une solution. Loin de réduire les flux migratoires, ces clôtures ne font que les déplacer, rendant le périple de ces hommes et de ces femmes en détresse toujours plus périlleux.
Le principe de libre circulation contenu dans les accords de Schengen n’a pas empêché la construction de quelque 1000 kilomètres d’obstacles le long de frontières européennes au cours des deux dernières décennies. La Hongrie, qui a installé des barbelés de 4 mètres de haut le long de sa frontière avec la Serbie, l’Autriche, la Slovénie, la Macédoine, la Bulgarie, la Grèce, ils s’y sont tous mis, pour tenter de limiter l’immigration illégale. D’autres séparations, à Chypre comme à Belfast, en Irlande du Nord, sont, elles, demeurées en l’état après la fin de conflits armés, qui ne sont pas parvenus à des solutions politiques durables. C’est également le cas, sous d’autres cieux, de la frontière qui sépare la Corée du Sud et la Corée du Nord; ou encore du mur construit par le Maroc pour se couper des territoires contrôlés par le Polisario, proclamés République arabe sahraouie démocratique.
Les murs les plus connus sont celui érigé par Israël en Cisjordanie, toujours en construction, qui doit à terme atteindre 712 kilomètres de long, et celui construit sur la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique, long de 1300 kilomètres, entrepris en 2006 sous George Bush, qui continue à être franchi malgré des cylindres d’acier de 8 mètres de haut. Parmi les projets annoncés, citons la construction d’un mur sur la frontière entre Haïti et Saint-Domingue, avec capteurs de mouvements, caméras de reconnaissance faciale et systèmes infrarouges.
Sommes-nous donc condamné·es à être emmuré·es derrière nos frontières ou même à l’intérieur de celles-ci? Dans les villes européennes, ou aux abords de celles-ci, sur le modèle américain, des quartiers fermés, sécurisés, privatisés, ont le vent en poupe. Sans compter les hauts murs derrière lesquels vivent depuis longtemps les classes moyennes et supérieures des quartiers résidentiels des métropoles d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine.
* Journaliste.