Guerre juste ou juste la guerre?
Vingt ans après sa chute, la milice moyenâgeuse des talibans est à nouveau aux portes du pouvoir. Pour les dernières troupes étasuniennes quittant l’Afghanistan, l’échec est cuisant. Jour après jour, les islamistes ultrarigoristes de feu Mohamad Omar font reculer l’armée nationale, contrôlant désormais la plus grande partie du territoire et menaçant les 500 000 habitant·es de leur ancien bastion de Kandahar. Difficile, pour autant, de regretter le retrait militaire des Etats-Unis, tant leur intervention incarne la faillite d’une vision du monde.
Après les Soviétiques dans les années 1980, Washington et ses alliés ont testé à leurs dépens le vieux dicton selon lequel ce pays serait «facile à envahir, coûteux à occuper, difficile à quitter». Aisément entamée après le 11 septembre 2001, l’opération militaire occidentale était pourtant couverte d’une certaine légitimité. Sanctuaire d’Al-Qaida et tombeau des droits humains, l’Emirat taliban n’avait guère de défenseurs. Il n’a pourtant pas fallu longtemps pour comprendre que le succès militaire tournerait à l’échec politique.
Avec des ministères captés par les chefs de guerre, une économie livrée à des formes archaïques de marché, des droits sociaux confiés aux ONG et des campagnes dépendantes du pavot et régulièrement sous le feu des drones et des commandos, l’Afghanistan post 2001 n’a jamais fait illusion, encore moins nation. L’Etat est demeuré impuissant et clientéliste. Et les quelques progrès sociaux – école, santé – et sociétaux – droits des femmes et libertés publiques – n’ont guère infusé au-delà des villes. Son président le plus puissant, Hamid Karzai, n’était-il pas surnommé le maire de Kaboul?
Confrontés à des voisins hostiles, arrivés avec pour seule stratégie un plan militaire et l’alliance d’encombrantes milices, les Etats-Unis pouvaient gagner la guerre, jamais la paix. Même le réajustement tactique de Barack Obama, qui renforça la présence terrestre pour éradiquer une fois pour toutes les talibans, était voué à l’échec. De la même façon que Soviétiques et Britanniques avaient échoué avant eux.
Malgré les 800 (!) milliards de dollars investis, cinq fois le Plan Marshall de reconstruction de l’Europe après 1945, l’Afghanistan est aujourd’hui 169e sur 187 au classement onusien du développement humain – il était 162e en 2001. Et surtout, le pays pourrait bien retourner, tôt ou tard, aux mains des talibans…
Le modèle afghan – invasion éclair et installation de supplétifs – a pourtant essaimé après 2001. En Irak, en Libye, avec le même «succès». On en parle aussi pour l’Amérique latine, en Haïti. Dans un mélange de messianisme occidental et de néocolonialisme, où l’on ne cesse d’espérer un meilleur brouet d’une recette identique. Désespérant.