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Une embellie en France?

Outre un taux d’abstention record, les résultats des élections régionales françaises, qui laissent un Emmanuel Macron affaibli, n’enregistrent pas de poussée du Rassemblement national de Marine Le Pen. Contrairement aux pronostics relayés, la présidentielle d’avril 2022 «n’est plus écrite d’avance», selon Serge Halimi.
Politique

Les dix prochains mois de la vie politique française seront-ils rythmés par une avalanche de faits divers susceptibles d’entretenir une panique sécuritaire1>D’après les statistiques officielles, le nombre d’homicides a oscillé ces dix dernières années en France entre 784 et 866 par an, soit entre deux et trois par jour. Assez pour alimenter en permanence des chaînes d’information en panne de catastrophes et d’imagination. et par des injonctions dramatiques à «faire barrage» à une extrême droite propulsée par ce climat de peur? Un tel enchaînement n’est pas une fatalité. L’élection présidentielle de 2022 n’est plus écrite d’avance. Ses deux finalistes présumés, Mme Marine Le Pen et M. Emmanuel Macron, sortent en effet affaiblis des scrutins régionaux qui viennent de se conclure. Les gigantesques erreurs de pronostic des sondeurs devraient conduire à se défier de leurs prévisions dans les semaines qui viendront.

Certes, le taux d’abstention exceptionnel (66,72% à l’issue du premier tour) vaut condamnation d’un découpage territorial arbitraire autant qu’incompréhensible2>Lire Benoît Bréville, «Vos régions, on n’en veut pas!», Le Monde diplomatique, juillet 2021.. Mais la grève des électeurs exprime aussi le dégoût d’une campagne politique qui a pataugé dans les bas-fonds de la démagogie d’extrême droite au point de laisser penser que les grands enjeux du moment étaient la sécurité, la délinquance et l’immigration, trois domaines qui échappent par ailleurs largement à la compétence des régions. En dépit de ce conditionnement entretenu par les médias et propre à gonfler les voiles du Rassemblement national afin de pouvoir ensuite célébrer son adversaire du second tour au printemps prochain, le parti de Mme Le Pen perd plus de la moitié de ses suffrages par rapport au scrutin analogue précédent (2’743’000 voix, contre 6’019’000 en décembre 2015). Un tel résultat ne témoigne pas vraiment d’une poussée fasciste en France susceptible d’obliger chacun à venir se blottir comme une brebis apeurée autour du bon berger de l’Elysée.

Le fiasco – provisoire? – de la manœuvre imaginée par M. Macron est d’autant plus retentissant que plusieurs de ses ministres importants ont mordu la poussière et que le score des formations qui le soutiennent (11% en moyenne, soit 3,66% des électeurs inscrits!) confine à l’humiliation, surtout s’agissant de partis qui disposent de la majorité des sièges à l’Assemblée nationale. Pour un président qui raffole de l’exercice solitaire du pouvoir – au point que c’est lui qui dispense exceptionnellement de couvre-feu sanitaire les spectateurs de la demi-finale d’un tournoi de tennis… –, le désaveu est cuisant.

Le taux d’abstention et la force d’inertie qu’a traduite la prime accordée aux sortants, quels qu’ils soient, interdisent de tirer d’autres enseignements d’un scrutin par ailleurs caractérisé par des bricolages d’alliances sans cohérence nationale. Tout reste à faire, par conséquent. Mais la seule idée de ne pas être condamnés d’avance à toujours choisir entre le mal et le pire ressemble, en dépit de tout, à une petite embellie.

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Article paru dans Le Monde diplomatique du mois de juillet 2021, www.monde-diplomatique.fr/

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