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Histoire naturelle du plaisir

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«Rechercher le plaisir, éviter la peine (…). Sans cette recherche de l’agréable, (…) la vie cesserait.»

Petr Alekseevitch Kropotkine

Face aux religions de l’Inquisition, des croisades et autres djihads, aux peuples élus et aux leaders puritains qui gouvernent par la terreur et la répression sexuelle, cette constatation de Kropotkine reste aussi subversive que son affirmation, en 1902, que l’entraide vaut la compétition dans l’histoire de la vie.

Sous la répression féroce de tout érotisme non commercial dans le monde capitaliste chrétien, la recherche scientifique occidentale est restée coincée et réactionnaire jusqu’à nos jours. On y interdit, marginalise ou émascule toute interrogation sur le plaisir et «cette recherche de l’agréable» qui mène le monde vivant, réduite à la prétendue «reproduction sexuée». Un oxymore détestable que Thierry Lodé1  Histoire naturelle du plaisir amoureux, Ed Odile Jacob, Paris, juin 2021. explose en rappelant que la sexualité, qui fait du neuf, s’oppose à la reproduction, qui fait de l’identique. L’une joue contre l’autre dans les mécanismes de la vie. Pourtant, la sagesse populaire rappelle que l’on gouverne par la carotte et le bâton (pas seulement par le bâton!). De même que l’on conditionne par le plaisir et la douleur.

L’observation des comportements animaux ramène pourtant les scientifiques vers une histoire naturelle de la sexualité, base de la génétique dont on a abusivement attendu la programmation de la vie. Ceci en oubliant la pauvreté de l’information génétique face à la complexité de millions d’espèces vivantes et des milliards de synapses nerveuses de chacune, ou la multitude de leurs relations et de leurs environnements. L’idéologie du «tout génétique», responsable des détournements eugénistes de la sélection naturelle et de leurs génocides, reste la base de la théorie anti-égalitariste du capitalisme financier, celui qui ruine le monde aujourd’hui. Et, dans la foulée, les théories aberrantes de la sociobiologie et de la pseudo-psychologie dite évolutionniste ont reconstruit, sur le sable de l’ADN, l’héréditarisme aristocratique. Le tout en récupérant le sexe, mais pas son moteur: le plaisir.

Naturaliste au fait des avancées de la biologie, Thierry Lodé nous offre une histoire naturelle du plaisir et de ses origines, depuis les premières éjaculations dans la mer primitive. S’attachant aux causes proximales des comportements, plutôt qu’à des causes finales non mesurables, il nous rappelle que les animaux, humains compris, font l’amour pour le plaisir et pas pour maximiser leur nombre de descendants.

Cette approche ne plaira pas aux dévots des religions, des morales et des politiques rétrogrades. La nature est amorale, même hors du triomphe des plus forts. La recherche du plaisir est découplée de la reproduction chez des centaines d’espèces pratiquant l’homosexualité, la sodomie, la transsexualité, la pédophilie et d’autres pratiques que l’on ne saurait interdire ou recommander au prétexte qu’elles seraient «naturelles». La gestation pour autrui ou l’élevage des jeunes des autres y sont banales. Ceci sans parler d’exotismes comme s’éclater au sens strict, ce que des vers marins font, pour le plaisir, pas pour féconder des cellules sexuelles à la pleine lune. Et si des grenouilles australiennes disparues ont inventé la gestation gastrique, c’était pour le plaisir d’ingérer leurs œufs de cette façon, pas pour résister à la sécheresse ambiante.

Alors, si la génétique seule ne mène pas le monde vivant, qu’est-ce qui l’organise? Pour Thierry Lodé, c’est ce qu’il qualifie d’«écologie évolutive»,en réunissant l’ensemble des caractéristiques des espèces vivantes et de leurs interactions, entre elles et avec leurs multiples milieux physiques, climatiques, biologiques et sociaux. La génétique en est une brique parmi d’autres, comme les comportements, guidés par cette recherche du plaisir dont l’histoire naturelle nous est ici contée, entre la rigueur des sources et la jubilation hédonique de l’auteur…

Notes[+]

* Chroniqueur énervant.

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