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Femmes sous Covid: un rôle oublié?

Les répercussions genrées engendrées par la crise sanitaire sont connues. Les femmes en ont payé le prix fort, tant sur leur lieu de travail que dans leurs foyers. Dressant l’inventaire de leurs sacrifices, Viviane Gonik constate que les mesures engagées pour répondre au contexte pandémique ont été prises sans égard au genre.
Femmes sous Covid: un rôle oublié?
Des salariées du CHUV défilent pour obtenir des renforts d’effectifs, une prime Covid digne des efforts accomplis et des améliorations de salaires lors d’une journée de mobilisation du personnel de la santé, à Lausanne, le 23 juin 2021. KEYSTONE
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Que ce soit en termes d’infections, de répercussions de la maladie, d’emploi, de conditions de travail, de relations familiales ou encore de répartition des rôles à domicile, les femmes ont été particulièrement affectées par la pandémie de Covid. Rares sont les évènements qui ont autant mis en lumière leur place, leur rôle et la reconnaissance de leur travail dans la société. Les femmes sont majoritaires à soigner, nourrir, laver et éduquer. La crise sanitaire a de lourdes répercussions sur l’organisation de leur travail et de leur famille, en plus des impacts sur leur santé.

Dans de nombreux pays, elles sont majoritaires dans les cas confirmés de Covid-19. Au Québec, le taux de femmes infectées oscille entre 54 % et 60 % des cas1>Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), «Enquête épidémiologique sur les travailleurs de la santé atteints par la Covid-19 au printemps 2020», 21 janvier 2021, accès: bit.ly/2TSPArs, alors que ces dernières sont plus enclines que les hommes à adhérer aux mesures sanitaires et à les suivre en tout temps2>Conseil du statut de la femme, «Infections et mortalité: les femmes toujours davantage frappées», bit.ly/2UqajDu. En Suisse, on note une surreprésentation des femmes en âge de travailler infectées3>OFSP, «Rapport sur la situation épidémiologique en Suisse», mai 2021,
www.covid19.admin.ch/fr/weekly-report/situation
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Cela dit, si les femmes contractent plus souvent le Covid, elles sont moins nombreuses à en développer des formes graves et à mourir de la maladie4>Si 53% des personnes testées positives au coronavirus en Suisse sont des femmes, elles ne représentent que 40% des hospitalisations liées au Covid-19 et 42% des décès, selon Swiss Medical Forum, bit.ly/3wMhp3v, sans qu’on en connaisse pour l’instant les raisons exactes. Par ailleurs, elles semblent davantage touchées par le Covid long5>Cf. HuffPost, 16/06/21, bit.ly/3cUT97p. Enfin, en termes de santé mentale, elles paient aussi un prix fort. En Corée du Sud et au Japon, le nombre de suicides de jeunes femmes entre 20 et 30 ans a augmenté respectivement de 26% et 15% de 2019 à 20206>Cf. Le Courrier international, dossier «Femmes, sortir de crise», n°1586, 25/03/21..

Métiers à risques et ­secteurs sinistrés

Sur le plan professionnel, les femmes sont plus à risque d’exposition directe au virus de par leur surreprésentation dans dans les secteurs «essentiels» (enseignement, santé, commerces et services sociaux de base) qui ont continué à fonctionner pendant toute la crise, en contact permanent avec des usagers. Toujours selon des chiffres québécois7>Institut de la statistique du Québec., elles comptent pour 80% des employé·es du réseau santé-social avec 90% d’infirmières et 83% d’aides-soignantes et auxiliaires de santé. Dans les épiceries, les supermarchés et le secteur du nettoyage, elles représentent respectivement 86% et 58% des employé·es, et composent 98% du personnel des garderies. Le quart des cas confirmés de Covid au Québec, en juin 2020, concernait des personnes travaillant dans le domaine de la santé, un secteur dont le personnel féminin représentait 79% des cas d’infection8>INSPQ, «enquête épidémiologique», art.cit., bit.ly/2TSPArs. Par ailleurs, l’ensemble de ces professionnel·les couraient environ dix fois plus de risque d’être infecté·es que le reste de la population.

En France, 28% des salarié·es contaminé·es au Covid estiment avoir contracté la maladie au travail9>Dares, «Quels sont l’ampleur et les facteurs de la contamination des travailleurs au Covid-19?», 28/05/21,bit.ly/3zLGE7O. Et, parmi les femmes touchées par le virus et qui exercent les métiers les plus exposés (infirmières, aides-soignantes, enseignantes, caissières), elles sont 68% à penser qu’elles ont été infectées dans le cadre professionnel.

En ce qui concerne l’accès ou le maintien à l’emploi et les conditions de travail, les femmes sont particulièrement touchées à l’échelle mondiale. L’Organisation des Nations unies a mis cette réalité en lumière dans un document sur le développement durable: «Avec la propagation de la pandémie de Covid-19, même les progrès limités obtenus en matière d’égalité des sexes et de droits des femmes pourraient être réduits à néant. La Covid-19 creuse des inégalités déjà existantes dont souffrent les femmes et les filles dans tous les domaines, de la santé à l’économie, en passant par la sécurité et la protection sociale»10>ONU Info, «La Covid-19 est en train d’inverser des décennies de progrès sur la pauvreté, les soins de santé et l’éducation», 7/07/20, bit.ly/2TT4iPc.

Les femmes ont été touchées de manière disproportionnée par la crise, puisqu’elles ont vu leur emploi chuter de 5% en 2020, contre 3,9% pour les hommes. Les perturbations liées à la pandémie ont également entraîné des conséquences catastrophiques pour les 2 milliards de travailleurs·euses du secteur informel dans le monde. A Genève, des centaines de femmes travaillant sans véritable contrat dans les services domestiques, la garde d’enfants, de personnes âgées ou dans la restauration se sont trouvées sans ressources. Selon une enquête genevoise, dans les files d’attente pour recevoir une aide alimentaire on rencontrait majoritairement des femmes (71,6%), relativement jeunes et dont 40% élevaient seules leurs enfants11>Enquête MSF et HUG, 06/2020, bit.ly/3zHDzFT. Le manque de ressources a fortement impacté leur logement, notamment pour les travailleuses sans statut légal qui ne pouvaient plus payer leur loyer, et a mis en danger leurs démarches de régularisation ou de renouvellement de permis de séjour.

Par rapport à 2019, 108 millions de travailleurs·euses supplémentaires dans le monde sont désormais considéré·es comme vivant dans la pauvreté ou dans l’extrême pauvreté. Cela signifie qu’ils, et surtout elles, et leurs familles vivent avec moins de 3,20 dollars par personne et par jour12>ONU info, «Covid-19: le chômage mondial passera au-dessus de la barre des 200 millions en 2022 (OIT)», 2/06/21, bit.ly/3xG2zeY.

Parmi les travailleuses des secteurs «essentiels», nombre ont vu leurs conditions de travail se dégrader et les risques psychosociaux augmenter. Une enquête menée en France estime à 11% le pourcentage de la population active occupée concernée par ces détériorations13>Dares, «Quelles conséquences de la crise sanitaire sur les conditions de travail et les risques psycho-sociaux?», 28/05/21, bit.ly/3xSyxF1. Sont notamment surreprésenté·es les femmes, les secteurs de l’enseignement, de la santé, ainsi que certains services comme les activités bancaires et les assurances. Ces professionnel·les indiquent une surcharge horaire par rapport à l’avant-crise: travailler plus longtemps, plus souvent le soir, la nuit ou très tôt le matin. Leurs tâches se sont également intensifiées en lien avec des réorganisations du travail: recours au télétravail, adaptation des contenus (enseignement à distance), etc.

«Une plus grande proportion de femmes est également sortie du marché du travail, devenant inactives», a relevé l’Organisation internationale du travail, en pointant le risque d’un retour à une vision traditionnelle de la répartition des rôles entre hommes et femmes, du fait des responsabilités supplémentaires à assumer au sein du foyer en raison des mesures de confinement14>ONU Info, «Covid-19: le chômage»art.cit., bit.ly/3xG2zeY. Pour exemple, aux Etats-Unis, en septembre 2020, 865’000 femmes étaient sorties de l’emploi, contre 216’000 hommes, soit quatre fois plus!15>Etude du National Women’s Law Center, 09/20, bit.ly/2Urelvl La fermeture de nombreuses écoles les a forcées à s’improviser enseignantes et spécialistes de Zoom, tout en s’efforçant en même temps d’effectuer leur propre travail.

Beaucoup ont alors décidé de ne se consacrer qu’à une seule de ces tâches: «Les conséquences sur l’implication professionnelle et la productivité semblent s’être intégralement reportées sur les mères d’enfants en âge scolaire»16>Le Courrier international n°1586, rev.cit.. Pour les femmes de la classe moyenne qui pouvaient croire à une forme d’égalité dans le couple, la crise sanitaire a balayé ces illusions. Lorsque les services normalement mis à disposition par l’Etat ou par le marché se sont mis à l’arrêt, on est revenu sur la répartition des tâches dans le couple et à cette règle implicite – malheureusement avérée – que le temps des femmes est moins précieux que celui des hommes. et qu’elles sont «douées» pour prendre en charge les affects et l’aspirateur. La femme de ménage ne vient plus? Vous la remplacez! L’école est fermée? vous êtes la professeure! Les enfants ne voient plus leurs amis? vous jouez avec eux….

Il faut également évoquer l’augmentation des violences dans le couple, largement traitée dans les bulletins d’information et dénoncée par l’Organisation mondiale de la santé: «La violence à l’égard des femmes est endémique dans tous les pays et toutes les cultures, causant des dommages à des millions de femmes et à leurs familles, et elle a été exacerbée par la pandémie de Covid-19»17>OMS, «Une omniprésence dévastatrice: une femme sur trois dans le monde est victime de violence», 9/03/21, bit.ly/2SVzvRI, a déclaré le directeur général de l’OMS.

Reprendre le flambeau

En somme, tout au long de la pandémie, les femmes ont beaucoup donné; elles ont assuré les soins dans les hôpitaux, dans les EMS, à domicile; elles ont continué à travailler dans les supermarchés pour nourrir les gens; elles ont assumé les charges familiales encore augmentées par la fermeture des écoles et des crèches; elles ont également payé un prix fort en termes de santé et de perte d’emploi.

Face à ces sacrifices, quelles sont les réponses de nos autorités –  de presque toutes les tendances politiques confondues? Elles envisagent à présent d’augmenter l’âge de la retraite, d’allonger les heures d’ouverture des magasins, de refuser des augmentations de salaires, de continuer à démanteler les services hospitaliers… la liste n’est pas close. Le moment est peut-être venu de retrouver les paroles de la vieille chanson Sebben che siamo donne18>Dite aussi La lega, cette chanson de lutte italienne fut chantée par les mondine, les repiqueuses de riz de la plaine du Pô. Elle est le symbole des révoltes ouvrières agricoles de la fin du XIXe s., au moment de la fondation des ligues socialistes. reprise comme hymne de la grève féministe du 14 juin 2019 [Oli oli ola], et de tout faire pour les mettre en pratique: «Eh! vous autres grands seigneurs/Qui avez tellement d’orgueil,/Arrêtez de nous mépriser,/Et ouvrez votre portefeuille!»

Notes[+]

Viviane Gonik est ergonome, spécialiste de la santé au travail, www.metroboulotkino.ch

MétroBoulotKino: Le cinéclub syndical genevois reprend ses projections en salle avec La clé des sons, 32 notes sur le hautbois, de Gabriel Hirsch (docu, 56 min, 1999). Discussion sur le thème du travail en présence du réalisateur. Ma. 29 juin à 19h, Fonction: Cinéma, Maison des Arts du Grütli, 16, Général-Dufour, Genève.

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