Agora

La pauvreté n’est pas un crime

Par peur de perdre leur permis de séjour, beaucoup de migrant·es renoncent à l’aide sociale. Aujourd’hui même, la Commission des institutions politiques du Conseil national doit discuter d’une initiative parlementaire visant à atténuer cette injustice.
Suisse

Les personnes migrantes sont souvent très durement touchées par la pandémie de coronavirus. Même en situation de détresse, beaucoup d’entre elles n’osent pas frapper à la porte de l’aide sociale de peur de voir leur statut de séjour mis en danger. Perte d’emploi, chômage partiel, accident ou maladie: ces événements peuvent facilement faire basculer une vie et engendrer des situations dramatiques. Bien sûr, la Suisse dispose en principe d’un filet de sécurité pour de telles situations: le droit fondamental à l’assistance aux personnes dans le besoin. Mais même si ce droit – inscrit dans la Constitution – s’applique à toutes les personnes résidant en Suisse, les migrant·es en sont de fait exclu·es, même en ayant une résidence légale en Suisse. En effet, le recours à l’aide sociale peut entraîner la perte de leur droit de séjour.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi sur les étrangers et l’intégration (LEI) en janvier 2019, même les personnes qui sont nées en Suisse et y ont grandi ou y ont le cœur de leur vie courent ce risque. Les migrant·es qui disposent d’un permis de séjour régulier et qui auraient droit à l’aide sociale craignent les conséquences d’une telle demande et s’abstiennent tout simplement, pour ne pas devoir quitter ce qui est désormais devenu leur pays: la Suisse.

Cette situation s’est exacerbée avec la pandémie de coronavirus: nombre de migrant·es travaillent dans des secteurs à bas salaires qui ont été particulièrement touchés par les fermetures. Même les baisses de revenus dues au chômage partiel les impactent cruellement, et une perte d’emploi peut littéralement menacer leur existence. Le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) a bien émis une directive selon laquelle une demande d’aide sociale en raison de la pandémie ne doit pas être pénalisée par la LEI. Mais l’interprétation de la directive est du ressort des cantons, et bon nombre des personnes concernées craignent que la marge de manœuvre ne soit pas utilisée en leur faveur. Contrairement aux ressortissant·es suisses dans la même situation, elles s’abstiennent donc de faire usage de leur droit fondamental à ce soutien.

Tout comme les personnes avec un passeport suisse, les personnes migrantes contribuent au bon fonctionnement de la société. Elles sont plus nombreuses que la moyenne à travailler dans les professions dites essentielles. Elles paient leurs impôts et s’impliquent dans des associations ou font du bénévolat. Mais lorsqu’elles ont besoin de l’aide de l’Etat, la LEI les punit en rétrogradant ou en annulant leur autorisation de séjour. Cette discrimination d’une partie de la population n’est tout simplement pas compatible avec le principe de solidarité qui constitue la base d’un Etat social.

Aujourd’hui 27 mai, la Commission des institutions politiques du Conseil national (CIP-N) peut corriger cette inégalité de traitement: l’initiative parlementaire «La pauvreté n’est pas un crime» propose en effet de modifier la LEI afin de redonner aux migrant·es un peu plus de sécurité en matière d’autorisation de séjour. Avec cette modification, les personnes sans passeport suisse ne devraient plus perdre leur permis de séjour à cause d’un recours à l’aide sociale si elles résident en Suisse depuis au moins dix ans d’affilée et conformément aux règles. L’adoption de cette initiative parlementaire serait un signal important envers les milieux qui veulent restreindre encore davantage les droits fondamentaux des personnes sans passeport suisse et durcir la loi sur les étrangers et l’intégration.

Notre invitée fait partie de la commission des migrations de l’Union syndicale suisse (USS).

Opinions Agora Marília Agostinho Mendes Suisse

Connexion