Le ton du Manifeste de la Grève pour l’avenir – qui réunit Grève du climat, syndicats et associations – est radical. Il fait le constat de l’échec du système capitaliste à résoudre les crises économiques, écologiques et sociales générées en son sein et demande un profond changement. Il appelle à une mobilisation sans précédent et à de nouvelles formes de démocratie.
La Suisse romande mobilisée
Petit inventaire des principales mobilisations prévues dans le cadre de cette grève de l’avenir dans les cantons romands.
Genève:
Matinée Actions et piquets décentralisés devant des écoles et des lieux de travail.
11h59 Alarme climatique et rassemblements jusqu’à 14h: parc Chaumettes, Baud-Bovy, Gourgas, Cropettes, place des Nations.
16h Rassemblement Plaine de Plainpalais (prises de parole).
17h Manifestation (Plainpalais, rues Basses, Mont-Blanc, Quai Wilson, Perle du Lac).
Vaud:
Dès le matin. Présence des grévistes du climat sur de nombreux lieux de formation et de travail pour distribuer le manifeste national.
Actions de visibilisation de 8h30 à 12h à la Gare de Lausanne et à la place du 14 juin.
11h50 L’alarme climatique et sociale sera sonnée, criée, chantée partout, notamment dans les lieux publics
13h30 Manifestations sur les lieux de formation qui démarrera à la Gare de Lausanne
17h30 Grande manifestation unitaire qui débutera sur la place de la Riponne jusqu’à 20h pour les derniers chants et un feu de joie!
Neuchâtel:
11h30 rendez-vous à Neuchâtel (rue du Concert, derrière l’Hôtel-de-Ville) et à La Chaux-de-Fonds (sous le couvert de la gare) – animations, discours et repas en commun.
11h59 les militant·es feront du bruit pour rappeler l’urgence
climatique.
17h Rassemblement à Neuchâtel au Jardin anglais.
18h15 Cortège.
Après la manifestation, moment convivial autour d’un verre et de choses à grignoter à la rue du Concert à Neuchâtel.
Valais-Fribourg- Jura:
Dès 9h Présence au marché de Sion.
11h59 Alarme climatique.
16h01 Départ du train à la gare de Sion direction Lausanne pour la manifestation.
Fribourg:
11h59 Alarme climatique (sur la place Python et les lieux de travail); 14h Cortège (départ de la place Python).
Dès 16h Ateliers, discussions, concerts (place Python).
Jura:
Une manifestation aura lieu dès 17h30 au départ de la place de la Gare à Delémont.
> Lire aussi notre édito: Climat: retour de la question sociale
«Nous soutenons en partie le manifeste. Chaque mouvement propose ses revendications et notre base commune est la lutte contre les crises sociales et écologiques», plaide Peppina Beeli, coresponsable du dossier reconversion écosociale au département politique d’Unia. Les syndicats ont intégré dans leur discours le principe selon lequel le réchauffement climatique est le résultat d’un ordre économique mondial inégalitaire, où les 10% les plus riches sont responsables de plus de la moitié des émissions CO2, alors que les plus pauvres subissent davantage ses effets. En Suisse aussi. Les travailleur·euses les plus exposé·es aux intempéries et températures élevées ont la plupart du temps des petits salaires. «On sent une préoccupation de la base sur ces questions climatiques. Dans la construction, la restauration, les salarié·es expérimentent déjà le réchauffement, loin des bureaux climatisés», relève Peppina Beeli.
Changements structurels inévitables
Deuxième constat, des changements structurels sont inévitables et les industries polluantes vont disparaître. Unia demande des investissements publics pour créer des emplois durables, dans les transports publics ou la transition énergétique ainsi que dans la formation pour accompagner la reconversion. «L’Etat doit planifier dès maintenant des perspectives pour les travailleurs et les travailleuses des secteurs menacés. C’est aux autorités d’assurer la transition pour que les emplois qui n’existeront plus soient remplacés», estime la syndicaliste. Pas de défense de l’emploi à tout prix donc, mais un plaidoyer pour une prise en charge publique du tournant climatique, qui ne doit pas se faire sur le dos des salarié·es. «Oui, c’est un défi pour nous, les syndicats. Mais, dans les années 1980 déjà, beaucoup ont réagi aux problèmes environnementaux en proposant des emplois verts. L’urgence s’est aujourd’hui renforcée», poursuit Peppina Beeli.
Et comment se positionnent-ils face à la décroissance? «Cela fait partie des nouvelles questions qui nous occupent, et il n’y a pas de réponse simple. En tout cas, on ne peut pas dire qu’il faut une décroissance pour tout le monde. La réflexion doit intégrer la répartition des richesses.» Peppina Beeli note les inégalités en termes d’accès aux transports publics suivant les zones d’habitation ou aux produits durables, inabordables pour beaucoup.
Les syndicats se sont engagés pour la Grève pour l’avenir – en mai 2020 déjà – après avoir été approchés par la Grève du climat. Celle-ci a constaté les limites des grèves scolaires. «Le rapport de forces nous était défavorable. Pour toucher toute la société, il faut passer par le monde du travail», souligne Steven Tamburini, pour la Grève du climat. Par le biais des syndicats, mais aussi de groupes de professionnel·es engagé·es comme les Doctors for Extinction Rebellion, qui ont rejoint la désobéissance civile.
«Syndiquons-nous!» clame la Grève du climat dans un appel aux activistes, qui fait état d’un «soutien timide mais encourageant» des centrales syndicales à la Grève pour l’Avenir. «Aussi vite que l’exige l’urgence climatique et sociale, il s’agit de favoriser l’émergence d’un syndicalisme combatif et démocratique», est-il écrit dans le document. Steven Tamburini constate des divergences dans les syndicats concernant les enjeux climatiques. «Certains secteurs veulent relancer la machine de l’économie pour maintenir les emplois, d’autres ne sont pas d’accord», constate-t-il. Et le rapprochement a poussé le mouvement climatique à réfléchir à des réponses concrètes face aux peurs légitimes des travailleurs·euses. «Nous demandons notamment que les personnes en première lignes bénéficient en priorité d’une transition et que le temps de travail soit réduit», poursuit l’activiste.
Loin d’une grève générale
Reste que les actions du 21 mai sont symboliques, loin d’une grève générale. Les activistes climatiques espèrent une vraie prise en charge de l’enjeu par les syndicats. «Ce n’est que le début vers une mobilisation de masse, on ne va pas laisser les syndicats s’en tirer comme ça», sourit Steven Tamburini. En appelant ses activistes à entrer dans les syndicats, la Grève pour l’avenir poursuit d’ailleurs aussi le but de «participer à leur démocratisation et à leur radicalisation».
Les syndicats sont évidemment heureux de cet appel à s’encarter. «Tous les mouvement environnementaux ne sont pas aussi sensibles à la question sociale. Et il est normal que ces générations arrivent avec un esprit critique. C’est aussi une opportunité pour les syndicats de se confronter à de nouvelles revendications», conclut Peppina Beeli.
Les enjeux féministes de la grève du climat
Charge écologique et redistribution du travail de care: ces deux enjeux de la Grève pour l’avenir touchent à des revendications féministes.
Le manifeste des grévistes pour le climat en appelle à un avenir «écologique, féministe, antiraciste et social». L’un des outils possibles de cette transformation est l’écoféminisme, qui établit un parallèle entre l’exploitation de la nature et la domination des femmes. Et de leur travail domestique, éducatif et de soins.
Simona Wetzel Ferrar, membre de la Grève féministe, est très claire: «Les changements passeront par une nouvelle considération et une meilleure redistribution du travail reproductif», ou care, de l’anglais to care, prendre soin. Elle est membre du groupe de travail qui s’intéresse à sa part non rémunérée et effectuée principalement par les mères. Le terme anglais lui convient car «il décrit très bien l’intention du soin effectué avec affection; et il est en lien avec ce soin que nous ferions bien d’offrir à la planète et au reste du vivant».
La question du travail reproductif* occupe toutes les approches économiques féministes, aussi diverses soient-elles. Or, ce travail, rémunéré ou non, souligne Mirjam Aggeler, de la plate-forme Economiefeministe, répond à une logique radicalement différente de celle de la production des biens: «L’accélération de la production, l’automatisation qui permet à celle-ci de réduire ses coûts, sont impensables dans le travail des soins. Prendre soin implique un temps incompressible: la qualité de ce travail est directement liée au temps disponible.» Il faut donc le penser autrement.
Actuellement, ces tâches-là sont sous-payées, ou non payées. Pour la société à venir, estime Mirjam Aggeler, la question centrale est de savoir comment organiser et financer ces tâches sans exploiter les femmes (ou tout autre force de travail sous-payée) à cet effet, que ce soit financièrement ou temporellement. En 2016, la valeur monétaire des tâches de soins non payées que les femmes effectuent en plus des hommes était de 85 milliards de francs, rappelle la codirectrice d’Economiefeministe. Du moins la pandémie a-t-elle pointé la dimension essentielle (systémique) de nombre de métiers féminins, qu’il s’agisse des soins à la personne, du nettoyage, ou du commerce de détail. «Mais il n’y a pas de remise en cause fondamentale, politique, du modèle actuel, déplore Mirjam Aggeler. Uniquement des réflexions sur la revalorisation salariale de certains secteurs.»
La Grève pour l’avenir demande aussi une réduction du temps de travail rémunéré, avec compensation salariale complète. Ce changement permettrait une répartition plus équitable du travail de soins, «et les femmes, explique Simona Wetzel Ferrar, pourraient ainsi assumer plus d’heures de travail productif, ce qui aurait aussi un impact positif sur leurs retraites et réduirait leur exclusion de la sphère professionnelle. Paradoxalement, sans l’apport de toutes ces tâches, le système de productivité en place ne tiendrait pas: il dépend complètement du care!»
Concevoir une société plus écologique implique là aussi les femmes: «Dans les pays occidentaux, ce sont surtout elles qui se préoccupent de revoir les habitudes alimentaires, par exemple, ou les modes de consommation (vêtements, etc.), rappelle Simona Wetzel Ferrar, et cela implique beaucoup de temps. Les ateliers zéro-déchets, notamment, attirent surtout les femmes.» Et, dans les pays en voie de développement, celles-ci sont souvent les premières à subir les effets de la crise climatique, notamment parce qu’elles dépendent plus directement des ressources naturelles menacées. DOMINIQUE HARTMANN
*L’adjectif désigne le travail permettant la reproduction de la force de travail. Le terme ne recoupe pas toujours les mêmes champs d’activité.