Agriculture écologique: le peuple reprend le flambeau
Nous sommes le 16 mars 2021. Les fruits de la réformette agricole (PA22+), offrant une vision un peu plus éthique de l’agriculture suisse et présentée par un conseiller fédéral UDC et vigneron (le comble!), viennent d’être définitivement gelés par le parlement. Cette situation dont l’absurde n’a d’égal que la tristesse est causée par un cynique mariage de raison entre economiesuisse et l’Union suisse des paysans, une alliance qui avait déjà coulé l’initiative «multinationales responsables» et qui sera violemment décriée dans la presse les semaines qui suivent.
Juin 2021, trois mois plus tard. La population suisse a l’occasion de pouvoir rattraper les récents errements du parlement en votant sur deux initiatives complémentaires dont le point commun est de revoir l’agriculture suisse sous l’angle d’une écologie ambitieuse.
La première, l’initiative «pour une eau potable propre», fixe des exigences écologiques sous la forme d’un conditionnement de l’accès aux aides de l’Etat (les fameux paiements directs). Mais pas que. Le texte met sur la table un autre aspect de l’agriculture, dont on entend trop peu parler: la recherche, qui devrait être davantage encouragée et surtout orientée vers des alternatives aux pesticides. Enfin une mesure à long terme dans une politique qui a trop tendance à se focaliser sur le seul lendemain! A cette ambition s’en ajoute une autre: celle d’une Confédération proactive dans une transition écologique effective. En effet, le texte prévoit que l’Etat fédéral puisse octroyer des aides à l’investissement aux exploitations respectant ses critères écologiques. C’est tout ce volet, malheureusement souvent ignoré dans le débat public, qui fait d’«eau propre» une véritable base pour un Green New Deal agricole, actuellement seul espoir d’une agriculture réformée. Un défaut peut-être: «eau propre» ne traite pas des importations.
La seconde, l’initiative «pour une Suisse libre de pesticides de synthèse», ambitionne d’imposer le bio comme nouvelle norme minimum dans l’agriculture suisse. Elle règle la question des importations de manière élégante, en appliquant les mêmes règles strictes aux produits importés. Simple et efficace.
L’une dans l’autre, les initiatives amènent des réponses solides et complémentaires à des problèmes réels qu’il devient urgent de résoudre. Les pesticides menacent l’environnement et la santé de toute la population (par exemple en favorisant certains cancers ou l’émergence de la maladie de Parkinson). L’effondrement de la biodiversité est causé en partie par l’utilisation de ces mêmes agents. Enfin, la résistance aux antibiotiques, un fléau qui provoque de plus en plus d’infections sérieuses, est poussée par l’usage industriel d’antibiotiques que l’initiative «eau propre» cherche à limiter. Le peuple a conscience de toutes ces problématiques graves, preuve en est la croissance de la demande pour une agriculture écologique, à en croire les dernières statistiques des achats de produits bio (+20% en 2020).
Nous sommes le 13 juin 2021, et la Suisse vote sur la protection de l’environnement sous ses différents aspects: protection du climat, des sols et du vivant. Le premier sondage Tamedia du mois d’avril montrait un plébiscite de l’initiative «eau propre» par les citadins, et un rejet par les populations rurales; cet article pourrait donc simplement être vu comme un nouveau manifeste de deux bobos urbains. Rien d’autre? Peut-être que si: il en va d’un peu plus que de politique politicienne pour les membres de jeunesses politiques que nous sommes. Il en va de la préservation d’un espace vital. Et si nous voulons véritablement prendre à bras-le-corps les problématiques qui concernent la jeunesse – à savoir les urgences environnementales au sens large – il faut sonner le glas de ce dialogue de sourds entre urbains et ruraux, consommateurs et paysans. Il faut regarder plus loin que les quelques défauts des initiatives anti-pesticides, en gardant à l’esprit qu’une initiative votée peut être ajustée par le parlement. Et en cas d’un «deux fois non», il va bien falloir que ce parlement que nous aimons tant critiquer retrousse ses manches et reprenne les idées des initiatives susmentionnées pour enfin mettre en place les réformes nécessaires. Voulons-nous vraiment lui confier cette immense responsabilité?