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La pratique doit passer avant la norme

Heidi Seray donne ses arguments contre le langage inclusif.
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Je ne peux qu’applaudir aux propos de Marzia Fiastri publiés dans Le Courrier du 25 mars. Pour ma part, j’aimerais juste ajouter deux ou trois choses. Tout d’abord, je trouve incompréhensible que l’on puisse à la fois soutenir le port de la burqa, manifestation de ce qu’un patriarcat réactionnaire a produit à peu près de pire en matière d’asservissement – volontaire ou non – de la femme tout en prétendant faire avancer la cause des femmes en dynamitant la langue à coup de «.» et de «e»! Franchement, quel est le pourcentage de femmes intéressé par ce débat abscons? 1%? 0,1%? Il va sans dire que la langue est un organisme vivant qui change et évolue avec son temps. Mais la pratique doit passer avant la norme. En Suisse romande, nous avons eu l’habitude depuis belle lurette de dire doctoresse et aujourd’hui tout le monde parle de la prof, de la maire, de la ministre, etc.

D’un autre côté, tous ceux qui n’ont pas tout oublié de leurs leçons d’allemand se souviendront que dans la langue de Goethe, les différences entre le masculin et le féminin sont peu marquées. Et pourtant, durant toute mon enfance j’ai entendu appeler Frau Doktor la femme du médecin! L’épouse du titulaire d’un quelconque autre doctorat avait aussi droit à cette appellation honorifique: Frau Professor, Frau Direktor, et j’en passe. Cette pratique ridicule a graduellement disparu à mesure que de plus en plus de femmes ont accédé elles-mêmes aux titres ­universitaires et aux fonctions ­dirigeantes. Comme Mme Fiastri, j’ai milité toute ma vie. Mais là, je dis stop. Personnellement, j’ai décidé de renvoyer à leurs expéditeurs les lettres, communications et autres messages qui me parviendraient rédigés dans ce langage prétendument inclusif en leur demandant de bien vouloir m’écrire en ­français.

Heidi Seray,
Genève

réponse de la rédaction

Depuis un mois, Le Courrier utilise le langage épicène. Pour un certain nombre de personnes, cette pratique constitue un bouleversement, et un désagrément: nous en sommes désolé·es. Pour d’autres, elle est déjà naturelle et était attendue. Cette réalité souligne à quel point la langue est le reflet d’une société en évolution constante – aujourd’hui plus sensible à la question des inégalités entre hommes et femmes – et un matériau vivant.
Des nouveaux usages, l’histoire de la langue en est truffée. Gageons que celui-ci nous semblera bientôt plus juste et plus précis que ne l’est aujourd’hui le masculin générique, ce faux neutre. Il y a des années que Le Courrier est attentif à faire entendre les voix moins audibles de la société. Le langage épicène s’inscrit dans cette logique, qui est aussi politique: ce qui n’est pas représenté existe beaucoup plus ­difficilement.
Le langage épicène crée-t-il des difficultés de lecture? Comment la langue s’est-elle transformée au fil des siècles? Epicène, peut-elle être belle? Nous aborderons toutes ces questions dans notre dossier du 30 avril, sans oublier les difficultés qu’a pu impliquer pour nous cette nouvelle aventure. A bientôt donc!

La rédaction

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