Au parlement
L’essentiel de la politique agricole de la Suisse est déterminé par des messages quadriennaux du Conseil fédéral. J’avais noté ici la faiblesse du contenu du dernier en date, qui devait porter sur les années 2022 à 2026: faiblesse de la vision politique, espoirs absurdes dans une «numérisation de l’agriculture», etc.
Après les Etats, le Conseil national a décidé, la semaine dernière, de renvoyer le message du Conseil fédéral, refusant ainsi de débattre du contenu. Les maigres mesures proposées par le gouvernement dans le sens d’une modération de l’usage des produits chimiques ont paru excessives à l’Union suisse des paysans qui a œuvré pour obtenir le renvoi du message. Ce renvoi est très favorable à l’USP et aux différents acteurs de l’agro-industrie, dans la mesure où leur proximité avec l’administration fédérale et avec le conseiller fédéral en charge Guy Parmelin leur permettra de se composer une politique agricole sur mesure, sans passer par le parlement.
Ce n’est ainsi pas un hasard si c’est le notaire démocrate-chrétien Léo Müller (LU) qui a défendu le renvoi au nom de la commission de l’économie et des redevances du Conseil national. Comme l’a fait remarquer au début du débat le député et paysan Kilian Baumann (BE/Verts), Müller est membre du conseil d’administration de Fenaco. Fondé en 1993, ce groupe résulte de la fusion de six fédérations de coopératives agricoles. Importateur de fourrages, d’alcools (DiVino-Garnier) et de viande (Groupe Ernst Sutter), ce holding coopératif chapeaute, entre autres, les marques Landi (commerce de détail), Agrola (stations service, livraisons de fioul), Ramseier (boissons gazeuses), etc. Léo Müller est encore administrateur de Sucre suisse SA, monopole helvétique de la fabrication de sucre, et de SUISAG, principal revendeur de sperme de porc et de médicaments pour l’élevage porcin. Un palmarès qui lui donne une position centrale dans le lobby agro-industriel.
Selon Kilian Baumann, le renvoi du message au Conseil fédéral résulterait d’un accord entre Economiesuisse et l’USP. Il a dénoncé cet accord en séance du Conseil national dans ces termes: «Economiesuisse et l’Union suisse des paysans se sont mis d’accord pour que ce projet de loi soit suspendu […]. Le contenu de l’accord est apparemment que l’Union suisse des paysans ne s’opposera plus aux accords de libre-échange et que, en contrepartie, aucune nouvelle exigence environnementale ne sera imposée à l’agriculture suisse dans son pays.»1>Procès-verbal de la séance du Conseil national du 16 mars 2021.
Dans une prise de position2>Communiqué de presse Uniterre du 15 mars 2021., Uniterre s’est félicitée de ce renvoi qui favorise pourtant (et était défendu par) ses pires ennemis. L’organisation agricole espère que le renvoi donnera la possibilité au Conseil fédéral «de présenter un projet intégrant réellement les différents piliers de la durabilité dans une vision à long terme de l’agriculture et de l’alimentation». On voit mal comment Guy Parmelin, lui aussi ancien administrateur de Fenaco, et son administration se convertiraient subitement à la vision d’une agriculture durable. Uniterre en appelle également à la tenue d’Etats généraux de l’agriculture «réunissant les différents acteurs dans un processus participatif, transparent et démocratique pour réorienter la politique alimentaire sur la base de la Déclaration des Nations unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales». L’idée est bonne, mais un débat parlementaire aurait pu constituer la première étape de ce «processus participatif, transparent et démocratique» et c’est bien pour cela que la droite et le lobby agro-industriel l’ont empêché.
Cet épisode parlementaire a des conséquences très concrètes pour les paysan·ne·s: le rythme déjà rapide de la planification quadriennale va s’accélérer. Des décisions seront prises hors de tout calendrier, qui conditionnent leurs possibilités d’investissement, la structure de leurs exploitations, etc. Au moment où il faudrait précisément pouvoir se projeter avec assurance vers l’avenir, c’est un signal désastreux. C’est aussi un signal désastreux pour notre vie démocratique dans laquelle les représentant·es sans intégrité de grandes entreprises disposent d’un poids beaucoup trop important.
Notes
Notre chroniqueur est un observateur du monde agricole.