Chroniques

Performance sanitaire et stupidité coloniale

Au pied du mur

Il y a quelques semaines, je traitais, dans ma chronique de Siné Mensuel, des raisons du succès de la politique sanitaire israélienne face au Covid, et de la qualité du système de santé publique israélien que Netanyahou n’a pas réussi à casser, malgré sa volonté déclarée de privatiser l’ensemble des services publics. Cette chronique a provoqué plusieurs réactions critiques, toutes liées au fait que je faisais totalement l’impasse sur la situation sanitaire dans les territoires palestiniens occupés. Mea maxima culpa pour cet israélo-centrisme injustifiable.

Un article de mon ami le Docteur Mustafa Barghouti, publié dans le New York Times du 21 janvier, me permet de corriger le tir. Cet ancien ministre et fondateur du Palestinian Medical Relief Committee mentionne, entre autres, que Covax, le dispositif international permettant la distribution de vaccins anti-Covid aux pays défavorisés, ne pourra vacciner que 3% des populations de Cisjordanie et de Gaza d’ici avril et qu’il faudra attendre la fin de l’année pour la mise en œuvre du programme de vaccination généralisée, rendu possible grâce à l’achat de 2 millions de doses de vaccins russes Spoutnik V et AstraZeneca par le Ministère de la santé de l’Autorité palestinienne.

L’Etat d’Israël, force occupante de la Cisjordanie et qui maintient les 2 millions d’habitant·es de la bande de Gaza en état de siège terrestre et maritime, ne se considère pas concerné par le sort et la situation sanitaire de la population palestinienne (qui comptait, début février, 2000 morts du Covid, avec un taux d’infection de 30% parmi les personnes testées). Cette indifférence est à la fois criminelle et épidémiologiquement stupide.

Criminelle, parce que selon les Conventions de Genève, la puissance occupante «a le devoir d’assurer et de maintenir, avec la coopération des autorités locales et nationales, les services médicaux et hospitaliers, la santé publique et l’hygiène dans les territoires occupés, en particulier en ce qui concerne [les mesures] préventives nécessaires pour lutter contre la propagation des épidémies». Chaque médecin israélien·ne qui collabore avec cette politique laxiste – y compris par son silence – viole le serment d’Hippocrate.

Au delà de ces considérations éthiques, la politique israélienne est également stupide, voire suicidaire: le virus ne s’arrête pas à un checkpoint, même pourvu d’une présence militaire décuplée. A moins d’enfermer hermétiquement tous les Palestiniens dans leurs villes et leurs villages – ce qui est pratiquement impossible et économiquement inimaginable –, le virus traverse naturellement la «ligne verte», au nez et à la barbe des militaires des barrages. Comme le conclut le Docteur Barghouti, «l’immunité collective ne sera pas obtenue pour les Israéliens sans la vaccination des Palestiniens». Car il s’agit d’un seul et unique espace, dans lequel les deux communautés se côtoient quotidiennement sur les lieux de travail, dans les transports publics… Il suffit d’une mutation du virus – ce qui est plus que probable – et l’effort gigantesque de vaccination entrepris par les autorités sanitaires israéliennes sera mis en échec par l’épidémie palestinienne. Comme quoi, une fois de plus, se confirme que le colonialisme est toujours gros d’un aveuglement criminel, mais aussi suicidaire.

* Militant anticolonialiste israélien, fondateur du Centre d’information alternative (Jérusalem/Bethléem).

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