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Au Sénégal, une étincelle met le feu aux poudres

EST-CE BIEN RAISONNABLE?

L’explosion de colère qui secoue le Sénégal depuis quelques jours n’a pas de précédent dans ce pays, souvent cité en exemple pour sa démocratie relativement apaisée et une alternance au sommet de l’Etat sans trop de heurts. Las. L’arrestation de l’opposant politique Ousmane Sonko, qui apparaît comme un challenger sérieux aux yeux du pouvoir en place lors des prochaines élections présidentielles, a agi comme un détonateur, cristallisé la colère et les frustrations d’une population exaspérée et mis le feu aux poudres. Pas sûr que le fait qu’il ait été relâché lundi sous contrôle judiciaire permette de calmer le jeu.

L’opinion publique sénégalaise prête en effet au président Macky Sall – élu en 2012, puis réélu en 2019 à l’issue d’un scrutin controversé – l’intention de briguer un troisième mandat en 2024, ce que la Constitution interdit. Peut-être le chef d’Etat sénégalais est-il inspiré et encouragé par les exemples récents de la Guinée Conakry et de la Côte d’Ivoire, où les présidents ont allègrement violé leur Constitution respective pour se maintenir au pouvoir. Et ce sans encourir pour autant l’ire de la communauté internationale et, au premier chef, de la France, qui demeure en Afrique francophone l’interlocuteur privilégié – Paris s’accommodant visiblement très bien des prolongations, voire des présidences à vie dans son «pré carré».

Dès lors, s’agit-il d’un tour de chauffe du président Macky Sall pour prendre la température et voir jusqu’où il peut aller avant de briguer un troisième mandat? L’élimination de tout opposant politique crédible est de fait un sport largement pratiqué dans la sous-région. Soit en proposant au challenger un poste rémunérateur auquel il ne résiste pas; en l’accusant de forfaits qui entacheront sa réputation; ou encore en le menaçant, lui et sa famille; voire en l’éliminant physiquement.

Pour ce qu’il est convenu d’appeler la «communauté internationale», priment avant tout les contrats juteux signés par les grandes entreprises et leurs parts de marché, alors que les économies européennes et nord-américaines sont à la peine. Ce n’est donc pas un hasard si, au Sénégal, des foules très en colère ont mis à mal des symboles de l’économie française, tels que les supermarchés Auchan, la compagnie de téléphonie Orange ou les stations d’essence Total. Au nom d’un entrelacs malsain d’intérêts économiques, de liens de coopération, de prêts budgétaires pour boucler ses fins de mois, le gouvernement sénégalais n’a rien à refuser à Paris et à ses entreprises phares, lesquelles, comme le dit l’adage, «font du fric en Afrique».

La captation du pouvoir par un clan restreint qui s’enrichit de manière éhontée, prêt à tout pour s’éterniser aux affaires, est un scénario récurrent, une véritable bombe à retardement à laquelle une étincelle suffit pour exploser. C’est ce qui se passe actuellement au Sénégal, ce qui s’est déjà produit et se produira encore ailleurs dans la région. Au prix d’un immense gâchis humain et matériel.

C’est de fait tout un modèle économique qu’il s’agirait de repenser, celui qui privilégie les intérêts des grands groupes étrangers à ceux du tissu économique national, dans tous les secteurs davantage créateurs d’emplois pour une jeunesse qui, plus que jamais, quitte son pays au risque de sa vie pour tenter de gagner l’Europe. C’est précisément pour ses prises de position anticorruption et favorables à une meilleure souveraineté économique et politique qu’Ousmane Sonko a conquis sa popularité auprès d’une population excédée, qui voit dans les accusations de viol dont il est l’objet une nouvelle volonté du pouvoir en place d’écarter tout concurrent potentiel.

* Journaliste

Opinions Chroniques Catherine Morand

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lundi 8 janvier 2018

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