Chroniques

La destruction d’une nation

EST-CE BIEN RAISONNABLE?

Le chaos qui règne aujourd’hui en Irak n’est pas tombé du ciel. Il est le fruit d’une quarantaine d’années de décisions politiques et d’événements qui ont favorisé la véritable descente aux enfers de ce pays, aujourd’hui martyre, mais dans lequel il faisait bon vivre dans les années 1970. C’est ce dont témoigne le documentaire exceptionnel Irak, la destruction d’une nation, écrit et réalisé par le journaliste français Jean-Pierre Canet, diffusé le 31 janvier 2021 sur France 5 et également disponible sur YouTube.

Les quatre épisodes de ce film-événement nous font voyager dans le temps: nous (re)découvrons le Saddam Hussein des années 1980, en pleine guerre avec l’Iran, soutenu par les pays occidentaux qui voient en lui un rempart contre l’Iran de l’ayatollah Khomeiny et l’obscurantisme islamiste des mollahs. Au début des années 1990, lorsque Saddam Hussein décide d’envahir le Koweït, cela provoque un déluge de feu de la part des Américains, Britanniques et Français qui réduiront à néant les infrastructures irakiennes; une première Guerre du Golfe met un terme à l’idylle avec les pays occidentaux, qui vont s’acharner sur l’Irak et son raïs en imposant un embargo extrêmement meurtrier pour la population, qui va durer douze ans. Enfin, dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001, prétextant détenir les preuves que Saddam Hussein dispose d’armes de destruction massive et soutient Al-Qaïda, les Américains envahissent l’Irak et prennent le contrôle du pays. C’est dans ce chaos qu’émerge l’Etat islamique, combattu au prix de nouvelles destructions, souffrances et pertes en vies humaines.

Le documentaire de Jean-Pierre Canet, qui a nécessité trois ans de travail, permet de mieux comprendre comment l’Irak en est arrivé là, et éclaire d’un jour sinistre la responsabilité non seulement des dirigeants irakiens et ceux de la région, mais aussi celle, écrasante, des pays occidentaux – tout particulièrement les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France, omniprésents.

La première Guerre du Golfe, il y a tout juste trente ans, est d’autant plus présente dans notre mémoire que, pour la première fois, nous avions pu suivre en direct à la télévision une guerre qui ressemblait à un jeu vidéo, avec tirs aux lasers de couleur verte qui déchiraient la nuit. Ce fut aussi le temps où émergea une sorte de novlangue agrémentée de termes encore en vogue aujourd’hui, tels que «guerre propre» ou «frappes chirurgicales», destinés à limiter, dans l’esprit des gens, l’impact des horreurs d’une guerre extrêmement meurtrière.

Les mensonges invraisemblables inventés par le gouvernement de George Bush fils pour justifier l’invasion de l’Irak montrent également que les «vérités alternatives» et autres fake news n’ont pas attendu l’ère Trump pour avoir droit de cité à Washington et ailleurs. Ternissant ainsi durablement la crédibilité de la parole politique ainsi que celle des médias qui relayèrent la plupart de ces bobards de bas étage, telle, par exemple, l’existence d’une filière de l’uranium en provenance du Niger destiné à la fabrication de l’arme nucléaire par l’Irak.

Reste que jusqu’à aujourd’hui, aucun responsable des atrocités commises pendant les guerres du Golfe ou au nom de l’embargo imposé à l’Irak pendant plus d’une décennie n’ont eu à rendre des comptes. Par son travail, le réalisateur Jean-Pierre Canet affirme avoir voulu lutter contre «une vision du monde très ‘court-termiste’» dans laquelle «la mémoire se dilue rapidement»; et montrer comment «des décisions politiques peuvent avoir des répercussions sur des décennies pour les populations».

* Journaliste.

Opinions Chroniques Catherine Morand

Chronique liée

EST-CE BIEN RAISONNABLE?

lundi 8 janvier 2018

Connexion