Solidarité

Multinationales: de maîtres à partenaires

Si la Suisse peut vanter son partenariat social, ce n’est pas grâce à ses multinationales. Le secrétaire général du syndicat mondial IndustriALL mise sur l’initiative pour changer la donne.
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Valter Sanches, secrétaire général d’IndustriALL. La coalition syndicale représente quelque 50 millions de travailleurs à travers le monde. LDD
Multinationales responsables

La votation de dimanche sur la responsabilité juridique des multinationales est observée avec attention à l’étranger. Le poids de la Suisse dans le secteur donne à ce vote un retentissement particulier au moment où l’Union européenne examine une législation similaire. IndustriALL, dont le siège mondial est à Genève, l’a bien compris et apporte un clair soutien à l’initiative.

Présente dans 140 pays, cette coalition syndicale, représentant quelque 50 millions de travailleurs des mines, de l’énergie et de la manufacture, est aux premières loges de la mondialisation de l’économie. Un théâtre où les multinationales suisses, pour l’heure, s’illustrent plutôt dans le rôle du méchant, à en croire le secrétaire général d’IndustriALL, le Brésilien Valter Sanches.

Il est rare qu’une fédération syndicale internationale comme la vôtre prenne position dans une votation populaire. Pourquoi cet engagement?

Valter Sanches: Cette prise de position est cohérente avec notre engagement dans d’autres pays en faveur de propositions de loi similaires. Nous avons ainsi soutenu la législation française sur le devoir de vigilance adoptée en 2017. Actuellement, nous le faisons en Allemagne et au niveau de l’Union européenne (lire ci-dessous). Bien que les entreprises aient des sièges nationaux, elles ont des chaînes d’approvisionnement et de production dans le monde entier. Ici, en Suisse, LafargeHolcim, Glencore ou Nestlé se comportent bien, il faut qu’elles le fassent partout.

Quels effets attendez-vous en cas d’adoption de l’initiative?

L’effet principal sera de rendre les multinationales suisses responsables juridiquement, de pouvoir les poursuivre devant la justice pour exiger réparation des méfaits accomplis à l’étranger. Mais notre but n’est pas de les amener au tribunal, nous voudrions qu’elles améliorent leurs comportements, qu’elles surveillent leurs activités à l’étranger.

IndustriALL a passé des accords globaux avec quarante-huit multinationales, aucune n’est une entreprise suisse! Dans le cadre de ces partenariats, nous participons à un contrôle des chaînes d’approvisionnement. Il existe aussi des procédures pour la résolution des conflits. Nous invitons les entreprises suisses à entrer en matière sur ce type de partenariats. Nous disons toujours aux entreprises: avoir de bonnes relations avec les syndicats coûte moins cher que des luttes ou des procès. Nous ne souhaitons pas de mal aux entreprises. Les travailleurs en ont besoin. Nous voulons un changement dans leur gestion tant sur le plan des droits humains que des relations de travail et de l’environnement.

IndustriALL a son siège à Genève. En cas d’adoption de la loi, seriez-vous prêt à accompagner des travailleurs devant la justice suisse?

Absolument. Nous avons cette expérience. Nous le faisons notamment lorsque aucun accord n’a été trouvé dans les procédures internes élaborées avec nos entreprises multinationales partenaires.

Quels types de comportements dénoncez-vous par exemple en ce moment chez des multinationales suisses?

Nous constatons des licenciements massifs, notamment chez Glencore, qui fait payer la crise aux ouvriers sans aucune consultation de leurs organisations. Cette entreprise fait peu de cas des syndicats et licencie des travailleurs quand ils s’organisent. Il a fallu que nous allions protester devant les actionnaires, à Zoug, pour que ses mineurs au Congo RDC aient des rations de nourriture et d’eau suffisantes. Ce n’est qu’après cette manifestations que [le PDG] Ivan Glasenberg nous a reçus et a entamé une relation avec IndustriALL. C’est absurde!

Quelle importance un petit pays comme la Suisse a pour un syndicat international comme IndustriALL?

La Suisse a pour politique d’attirer des multinationales par sa fiscalité. De très nombreuses entreprises s’y installent bien qu’elles n’aient aucun lien historique avec ce pays, à l’instar de l’entreprise de mon pays, Vale. Elles obtiennent ici beaucoup de facilités: une façon de remercier la population suisse serait que ces sociétés se comportent de façon responsable en matière de droits humains et environnementaux partout où elles se rendent.

L’Europe se met au diapason

Si la Suisse adopte l’initiative visant à responsabiliser les entreprises en matière sociale et environnementale à l’étranger, elle ne sera pas seule. L’Union européenne prépare son propre projet, aux exigences comparables. Le Royaume-Uni applique déjà une disposition similaire depuis 2015, reprise par l’Australie et le Canada (lire notre édition du 6 novembre). Tous ces textes se basent sur les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales, publiés en 2011 déjà, ainsi qu’aux Objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU.

«Il existe globalement trois niveaux de législation dans ce domaine, du plus au moins exigeant», résume le docteur en droit Nicolas Bueno, remplaçant du professeur Christine Kaufmann à l’université de Zurich, elle-même présidente du Groupe de travail de l’OCDE sur la question de la responsabilité des entreprises.

Le niveau le moins exigeant, explique-t-il, ne demande aux entreprises qu’une simple annonce de conformité. L’entreprise dit qu’elle respecte le droit en vigueur. Elle s’expose néanmoins à des procédures juridiques si cette affirmation est contestée. C’est la version appliquée par la loi britannique «Modern Slavery Act» de 2015, qui interdit aux sociétés basées ou actives dans le Royaume-Uni de recourir au travail forcé ou sous contrainte. Elle s’applique par conséquent à nombre d’entreprises suisses. Ainsi, Credit Suisse ou encore le géant de l’assurance Swiss Re publient chaque année de telles déclarations. Les Pays-Bas se sont dotés d’une telle disposition, qui permet de poursuivre les entreprises coupables d’avoir recouru au travail des enfants.

Le niveau supérieur contraint les entreprises à conduire activement des investigations internes destinées à s’assurer du respect des principes de l’OCDE et de l’ONU auprès de leurs filiales et de leurs fournisseurs, mais sans qu’une sanction ne leur soit applicable. C’est notamment le cas de l’Allemagne, qui s’en est remis à une application volontaire des principes. Mais le gouvernement actuel est insatisfait de cette solution (lire ci-dessus).

Vient, enfin, la version la plus sévère: celle qui oblige les entreprises à s’assurer de la bonne application de ces principes, et qui prévoit, en outre, une clause de responsabilité en cas de non-respect. C’est la version retenue par la Commission européenne dans son projet de «Directive sur la responsabilité des entreprises» dont une version préliminaire a été publiée sur le site de l’europarlement en septembre dernier.

Cette directive fait obligation aux entreprises de s’assurer de la conformité de leurs filiales et de leurs fournisseurs avec les Objectifs de développement durable de l’ONU en établissant clairement une clause de responsabilité. Applicable à toutes les entreprises actives dans le territoire de l’UE, cette directive sera valable pour les entreprises suisses aussi si elles entretiennent une présence sur place. Le texte de la directive devrait être soumis au parlement européen au printemps avant d’être transcrit dans les droits nationaux des vingt-sept Etats membres.

L’inspiration de cette disposition est la loi française «sur le devoir de diligence» votée en 2017, qui contraint les entreprises d’une certaine taille, leurs filiales et leurs sous-traitants de veiller aux bonnes pratiques sociales et environnementales et permet aux victimes d’éventuelles mauvaises conduites de les attaquer en justice. La coalition au pouvoir en Allemagne a du reste inscrit l’instauration d’une disposition semblable à son programme.

Au niveau de l’UE, la dynamique a été imprimée en avril lors de la publication par la Commission d’un rapport sur la conformité des entreprises en matière de respect des libertés fondamentales et du développement durable. Et ce rapport constatait qu’«à peine un tiers des répondants ont indiqué que leurs entreprises mettent en place des procédures de diligence raisonnable». Bref, que les méthodes incitatives n’atteignent pas leurs objectifs.

C’est sur la base de ce rapport que la Direction de la justice, placée sous l’autorité du commissaire belge de centre-droit Didier Reynders, a commencé le projet de loi européen.

«La loi française est un peu plus précise en matière d’établissement de la responsabilité des entreprises que le projet de directive. Mais la différence n’est pas très importante. Les deux textes sont du reste proches de la proposition de l’initiative sur les entreprises responsables suisses», poursuit Nicolas Bueno.

Si la Suisse dit oui, son cadre juridique ne sera guère différent de celui de ses principaux partenaires économiques. Et si elle dit non, ses entreprises seront de toute façon responsables, mais vis-à-vis de tribunaux européens. YVES GENIER / LA LIBERTE

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Multinationales responsables

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