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Il y a vingt-cinq ans disparaissait Bruno Bréguet

L'histoire en mouvement

Le 12 novembre 1995, près du port grec d’Igoumenitsa, se perdaient les traces de Bruno Bréguet. Qu’est-il devenu de cet internationaliste suisse, alors dans le viseur des services de sécurité d’une bonne partie des Etats d’Europe occidentale?

Bruno Bréguet naît en mai 1950 à Muralto, au Tessin, puis effectue des études à l’université de Genève. A vingt ans, il s’engage dans la solidarité avec les mouvements de libération, qui se développaient autour de l’Organisation de solidarité des peuples d’Afrique, Asie et Amérique Latine (OSPAAAL), fondée à la Havane en 1966. Il se rapproche de la cause palestinienne, notamment à la suite de la tentative du sabotage d’un avion à l’aéroport Kloten, en 1969, par quatre palestinien-ne-s, dans le but de détruire les quinze tonnes d’armes stockées dans ses soutes et destinées à être livrées à Israël. Un des membres du commando sera abattu par un agent israélien, alors qu’il était maîtrisé, d’un coup de revolver dans la gorge. Les trois autres seront condamné-e-s par un tribunal suisse à douze ans de détention. Bruno Bréguet se rend à Beyrouth, afin de discuter avec le Front populaire de libération de la Palestine de la situation des trois prisonniers et également dans le but de collaborer plus activement avec cette organisation. Après un bref retour en Suisse, où il découvre être désormais l’objet d’un signalement Interpol, il prend un bateau à Venise, direction Israël. Le 23 juin 1970, il est arrêté au port d’Haïfa. Les autorités israéliennes trouvent sur lui deux kilos d’explosifs. Il est alors condamné à quinze ans d’emprisonnement. Longuement torturé, avant d’être enfermé dans la prison de Yagur, puis à Ramleh, il continue sa lutte aux côtés des prisonniers palestiniens, en participant aux révoltes et rêvant d’évasion.

En 1975, dans le sillage de la suite de la formation du Collectif national pour la libération de Bruno Bréguet, une intense campagne de solidarité s’organise, qui conduira à la publication d’un appel signé par Roland Barthes, Louis Althusser, Gilles Deleuze, Félix Guattari, Michel Foucault, Jacques Le Goff, Edgard Morin, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Friedrich Dürrenmatt, Günther Grass, Noam Chomsky, Dario Fo, Franco Fortini, Alberto Moravia et beaucoup d’autres. La campagne forcera les autorités suisses à œuvrer pour sa libération, qui intervient en 1977. Les sept ans passés dans les geôles israéliennes seront racontés dans son journal de prison, publié en 1980 par les éditions La Pietra, sous le titre de La scuola dell’odio (L’école de la haine).1>Réédité en 2015 par Red Star Press.

Dans les années qui suivent, Bruno se rapproche de Ilich Ramirez Sanchez, dit Carlos, et de son Organisation des révolutionnaires internationalistes (ORI). Il est arrêté à nouveau à Paris en 1982, en compagnie de Magdalena Kopp, avec des armes et des explosifs. Jugé en France, il est condamné à quatre ans de prison pour détention d’explosifs.

En 1985, il rejoint sa compagne et leur fille et s’installe en Grèce, à Perdika, où il travaille comme charpentier. Dix ans plus tard, la famille prend un bateau pour rentrer en Suisse, en passant par le port d’Ancona (Italie). A la douane italienne, Bruno se voit refuser l’entrée. Il laisse sa compagne et sa fille au port et repart vers la Grèce, sur le même bateau. Dans la nuit du 11 au 12 novembre 1995, avant que le ferry accoste au port d’Igoumenitsa, Bruno disparaît. L’on évoque une implication des services secrets français, le Mossad, l’OTAN ou la CIA. La presse relaie des «rumeurs que Bréguet soit mort durant un interrogatoire dans un établissement de la CIA en Hongrie, à la fin de 1995». Rien de concret toutefois. Interpellées par Jean Ziegler en 1996, les autorités fédérales indiquent avoir entrepris des démarches auprès du Gouvernement grec, sans succès, et que «M. Bréguet, s’il le désire, pourra bénéficier des services du Département fédéral des affaires étrangères (…) dès que son lieu de séjour aura été établi avec certitude». Un quart de siècle plus tard, ce lieu reste inconnu. Où est-il? Sans doute dans les mémoires de celles et ceux qui ont choisi de ne pas l’oublier.

Notes[+]

L’association L’Atelier-Histoire en mouvement, à Genève, contribue à faire vivre et à diffuser la mémoire des luttes pour l’émancipation, info@atelier-hem.org

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