Édito

Mécénat ou cache-sexe du patronat?

MÉCÉNAT OU CACHE-SEXE DU PATRONAT?
François Longchamp, président de la Fondation Aventinus, pose avec le quotidien Le Temps pour le photographe, ce mardi 3 novembre 2020 à Genève. KEYSTONE/Salvatore Di Nolfi
Presse

L’avenir du Temps paraît assuré. Face à la profonde crise que traversent les médias, le passage annoncé mardi du quotidien romand des mains du groupe Axel Springer Ringier, le bourreau de L’Hebdo, à la fondation Aventinus est en soi une bonne nouvelle. Le nouvel éditeur a promis de maintenir les postes de travail et assure que son intérêt «éthique» l’amènera à développer la couverture de l’actualité politique cantonale et nationale. Même la version «papier» du Temps, que d’aucuns estimaient condamnée, est pour l’heure maintenue. Des annonces rassurantes, bien que la fusion annoncée avec le pure player Heidi.news pourrait in fine conduire à des «synergies» et donc à un appauvrissement de l’offre.

L’annonce de ce rachat n’a guère surpris le landerneau. L’ex-conseiller d’Etat François Longchamp a admis que la fondation qu’il préside négociait «depuis un an» avec l’éditeur germano-suisse. Confirmant du même coup un peu candidement que cette opération était bien la principale (la seule?) raison d’être d’Aventinus, portée sur les fonts baptismaux par Rolex (Wilsdorf) et les fondations Michalski et Leenaards le 7 octobre 2019.

De l’aveu de l’ancien élu PLR, cinq «mécènes» issus du milieu bancaire genevois ont rejoint l’aventure. Avec le déménagement prochain de la rédaction au bout du lac, ceux-ci semblent participer à la renaissance de feu le très droitier Journal de Genève, sacrifié par ces mêmes milieux économiques il y a maintenant vingt-deux ans.

L’impression est renforcée par l’absence de transparence entourant le nouvel actionnariat. Ni chiffres ni identité des «mécènes» regroupés dans la fondation: on aurait espéré davantage de franchise, alors qu’Aventinus jure la main sur le cœur son attachement à l’indépendance du titre et à la qualité de l’information. Des investisseurs tellement désintéressés qu’ils ont dégagé l’actuel rédacteur en chef et nommeront librement le futur Conseil d’administration du titre – et par extension son futur patron.

Au-delà du Temps et de Heidi.news, l’avenir de la fondation, censée promouvoir la diversité de la presse, interroge. Les titres et projets réellement indépendants, dont Le Courrier, qui ont bénéficié de son soutien, trouveront-ils encore une oreille attentive auprès du propriétaire de l’un de leurs concurrents?

En définitive, quel que soit le diamètre de cet arrosage plus ou moins philanthropique, il va de soi que la pérennité de la presse indépendante et du pluralisme médiatique ne passe pas par l’entretien de «danseuses» médiatiques – on sait ce que durent ces coups de cœur! Il revient aux pouvoirs publics de mettre en place les conditions cadre d’une concurrence loyale et un soutien à l’information d’intérêt public. Et, bien entendu, aux lecteurs – pluriels, eux – de défendre leurs sources d’information. Mais ça, les lecteurs du Courrier le savent depuis longtemps.

Opinions Édito Benito Perez Presse

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