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La démocratie reste une utopie

Quarante ans après le coup d’Etat militaire du 12 septembre 1980, les attentes populaires d’une Constitution démocratique restent utopiques en Turquie, selon Ihsan Kurt.
Turquie

Entre 1960 et 2017, la Turquie a subi cinq coups d’Etat dont les quatre premiers furent perpétrés par les militaires. Le putsch du 12 septembre 1980, mené par le général Kenan Evren et quatre autres généraux (pashas) turcs, a renversé le pouvoir par la force des armes, parachevant ainsi le troisième coup d’Etat militaire, après ceux de 1960 et de 1971. Le putsch de 1980 constitue une grande étape de la militarisation du pays en imposant une Constitution raciste et despotique après des répressions sanguinaires contre les Kurdes et les mouvements d’opposition de gauche. Quarante ans plus tard, le pays souffre des répressions et des crises économiques et politiques, alors que la démocratie et les droits humains et des peuples sont de plus en plus bafoués.

La Constitution mise en place en 1982, dont les bases essentielles sont toujours en vigueur, ne respecte ni les droits fondamentaux des peuples kurde, arménien, assyrien, grec, ni les minorités confessionnelles alévis et yézidis de Turquie. Ses articles 3, 42 et 66 prônent la supériorité et le monopole de la race, de la langue et de la culture turques. L’article 4 établit que l’art. 3 n’est susceptible d’aucune modification à l’avenir.

Dans son Livre noir de la «démocratie» militariste en Turquie (2010, Bruxelles), Dogan Ozgüden dresse une liste des crimes contre l’humanité commis par la junte militaire de 1980, avec plus de 650’000 personnes arrêtées; des dizaines de milliers victimes de torture et autres mauvais traitements; plus d’1,6 million de personnes fichées; 210’000 procès politiques ouverts devant les tribunaux militaires, dont une centaine de milliers pour délit d’opinion; sur 6353 personnes jugées sous menace de la peine capitale, 517 y ont été condamnées, dont 50 exécutées; 470 personnes ont perdu la vie sous la torture, en prison ou en grève de la faim; tous les partis politiques ont été interdits et des centaines de milliers de livres ont été brûlés…

Depuis quarante ans, malgré une opposition politique, démocratique, mais aussi armée de la part des Kurdes et des mouvements contestataires pacifiques, les gouvernements successifs du pays succombent aux menaces et chantages de l’armée au nom «des intérêts de la nation et de la patrie». Dans ce contexte, les acteurs politiques appliquent des politiques nationalistes et militaristes, l’armée étant considérée comme «l’institution la plus digne de confidence du pays». Devenant un espoir pour l’opposition antimilitariste, démocratique et libérale, le Parti de la justice et du développement (AKP) du président, Recep Tayyip Erdogan, a, quant à lui, créé au milieu des années 2000 son propre système basé sur les valeurs d’un islam conservateur sunnite et du nationalisme turc, au lieu d’instaurer une véritable démocratie dans le pays.

Le plus désespérant pour l’opposition, c’est qu’avant son arrivée au pouvoir en 2002, le gouvernement islamo-conservateur de Tayyip Erdogan, malgré ses promesses d’éradiquer tous les vestiges du régime fasciste du 12 septembre 1980, a fait des retouches dans la Constitution militaire selon la doctrine islamo-nationaliste et a créé sa propre armée et sa propre police. De plus, profitant du mystérieux «coup d’Etat avorté» qui aurait été orchestré par la confrérie «Gülen» le 16 juillet 2016, Erdogan a aboli nonante-cinq années de système parlementaire en instaurant un régime présidentiel adopté par référendum en avril 2017. Appelé «le système du gouvernement de la présidence du peuple», le régime, qualifié de «superprésidence», concentre en la seule personne du chef d’Etat l’essentiel du pouvoir (budget, nomination des hauts fonctionnaires et des magistrats) sans outils de contrôle. Les attentes populaires d’une Constitution démocratique conforme aux conventions internationales des droits humains et des peuples restent utopiques en Turquie.

Le passé de la Turquie, c’est une histoire de coups d’Etat. Celui de 1980 a le plus marqué la société. La terreur d’Etat qui a suivi le 12 septembre a forgé une nouvelle idéologie officielle négationniste et nationaliste, transformée sous le pouvoir de l’AKP à une synthèse turco-islamique. Ce régime vise à fonder une identité unique de la population turque et musulmane, avec des conséquences dramatiques pour les minorités ne rentrant pas dans ce cadre. La brutalité de la répression subie par les Kurdes a poussé ces derniers à la lutte armée en 1984, ce qui a coûté la vie à plus de 50’000 personnes; plus de 4 millions de personnes ont quitté le pays (dont 1 million en Europe et plus de 50’000 en Suisse). Même si les généraux putschistes ont été jugés en 2012, l’âme de la Constitution militaire plane toujours sur l’homme fort de la Turquie, dont les ambitions coloniales néo-ottomanes visent la Syrie, l’Irak, la Libye et la mer Egée.

Notre invité est président de l’Association pour le fonds kurde Ismet Chérif Vanly (AFKIV), Prilly (VD).
Une soirée-débat sur le 40e anniversaire du coup d’Etat militaire en Turquie aura lieu vendredi 11 septembre, à 17h, à la Maison du peuple, rue de Crissier 6, à Renens (VD).

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