L’histoire des pays «à problèmes»
«Le droit à la famille est garanti», c’est ce qui est exprimé à l’article 14 de la Constitution fédérale. Dans le droit migratoire, la notion de «famille» protège tout particulièrement les liens familiaux existants entre les parents et leurs enfants – la famille dite nucléaire. La protection de ces liens familiaux est consacrée dans la Convention européenne des droits de l’homme. La réalité diverge cependant de la théorie.
Il est possible, pour un parent étranger, de faire venir ses enfants en Suisse à certaines conditions. Pour cela, il doit apporter la preuve de leur filiation. C’est là qu’intervient le test ADN: pour le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM), il semblerait que seuls les liens biologiques légitiment les familles étrangères, au détriment d’autres formes de filiation. En effet, de simples «doutes» quant à la filiation suffisent aux autorités pour requérir un test ADN lors d’une demande de regroupement familial. De tels doutes apparaissent lorsque «le lien familial contenu dans les documents présentés [par exemple un acte de naissance] parait douteux, [notamment] pour les pays qui disposent d’un système d’état civil peu développé, peu fiable (en raison de la corruption par exemple) ou inexistant».1>SEM, Directive Nr. 322.3-12, Demande d’entrée en vue du regroupement familial: Profil d’ADN et examen des actes d’état civil, état au 1er juillet 2018, p. 2.
Quels sont ces pays? Selon une liste précédemment établie par le SEM, ils étaient trente-trois, dont vingt-deux pays du continent africain, se trouvant définis comme pays «à problèmes». Depuis l’échec de l’initiative parlementaire Heer en septembre 20082>Communiqué de presse du 27 juin 2008: Regroupement familial. Pas de test obligatoire pour les ressortissants des pays «à problèmes», www.parlament.ch/press-releases/Pages/2008/mm-spk-n-2008-06-27-a.aspx?lang=1036 (consulté le 24.08.2020)., le SEM s’est ravisé, précisant qu’«il n’est pas possible de décréter, d’une manière générale et à priori, que tous les ressortissants d’un Etat considéré à risques»3>SEM, Directive Nr. 322.3-12, p. 2, voir note 1. doivent être soumis à un test ADN. La suppression de cette liste ne confirme cependant pas que de telles pratiques ont cessé. Selon plusieurs observatoires des droits humains, la pratique des tests ADN s’est au contraire généralisée au point d’être quasi systématique, notamment pour les personnes d’origine érythréenne. Selon le droit et les recommandations internationales, les tests devraient pourtant être utilisés en dernier recours, en respectant la notion de consentement et le principe de proportionnalité.
Lorsque des familles suisses demandent à effectuer des tests ADN pour prouver un lien de filiation, elles sont rendues attentives au fait que ces tests pourraient avoir des implications à long terme et aboutir à des résultats inattendus. La volonté d’éviter des situations douloureuses est ainsi privilégiée. Qu’en est-il des bouleversements qui peuvent être engendrés par les résultats de tests ADN pour les familles étrangères? D’autant que, même si le test ADN ne peut légalement pas être imposé, refuser de l’effectuer peut conduire dans les faits au refus de la demande de regroupement familial. Il existe donc une contrainte factuelle d’accepter le test, indépendamment de l’impact émotionnel qu’il pourrait produire.
Quant à la personne mineure non accompagnée, qu’elle soit requérante d’asile ou non, la pratique actuelle du Tribunal administratif fédéral ne lui permet tout simplement pas de faire venir ses parents en Suisse.
La Suisse semble donc pratiquer une politique à géométrie variable dans l’application du droit à la famille, en suspectant et discréditant les liens unissant les familles étrangères. Elle s’est pourtant engagée au niveau international à protéger le bien de chaque enfant.
Notes
Milena Mader et Katia Roelandt, Alumnae de la Law Clinic sur les droits des personnes vulnérables de l’université de Genève.
Rendez-vous mercredi prochain pour la suite de la série.