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Pas mal non? C’est américain

Rethinking Economics Genève

Les milieux économiques du monde entier sont en émoi depuis que Donald Trump a annoncé une hausse des tarifs douaniers sur une base de réciprocité – qui s’est par la suite avérée fausse. Cette hausse de tarifs aurait pour conséquence une forte hausse du prix des importations, et s’inscrit dans ce que le président étasunien prétend être une stratégie de réindustrialisation des Etats-Unis, où les secteurs manufacturier et industriel représentent 28,1% du PIB, un chiffre en baisse ces dernières années1> World Bank Database: wdi.worldbank.org/table/4.2. Un objectif qui semble voué à l’échec en l’état actuel: en effet, l’augmentation des tarifs causerait simplement une inflation par importation, en augmentant les prix des biens à la consommation et des intrants nécessaires à la production, mais sans que leur valeur ajoutée n’augmente en parallèle. En d’autres termes, les consommateurs américains en assumeraient les frais. Selon le raisonnement de l’administration Trump, le marché s’autorégulerait pour relancer l’industrie nationale en réponse à cette hausse des coûts.

Ce projet n’est pas sans évoquer les stratégies d’industrialisation par substitution à l’importation, par lesquelles les pays d’Amérique latine notamment ont rompu leur dépendance aux importations en leur substituant une production nationale. Cependant, si ces politiques se sont effectivement appuyées sur des taxes douanières pour favoriser le marché national, elles doivent surtout leur succès à des plans gouvernementaux solidement pensés, qui prévoyaient subventions, politiques de crédit avantageuses et allégements fiscaux.

Or, l’administration Trump ne propose rien de cela. D’ailleurs, celle-ci s’est vue rapidement remise à sa place par les milieux financiers américains, au vu des effets négatifs de ses nouvelles mesures sur la bourse et sur les bons du Trésor américain. Si les tarifs sont descendus à 10% pour la plupart des pays, ils sont restés de 145% pour la Chine, qui a immédiatement rétorqué, et avec laquelle Trump a ouvertement annoncé mener une guerre commerciale, sur fond de rivalité impériale. En effet, Trump est bien décidé à en finir avec la dépendance des USA envers la Chine, qui est l’un des pays depuis lequel les Etats-Unis importent le plus de biens, afin de retrouver sa place de numéro un mondial.

A nouveau, cette approche comporte plusieurs problèmes: les Etats-Unis exportent certes des biens industriels et pharmaceutiques en Chine (qui nécessitent souvent des intrants… chinois), mais ils exportent majoritairement des biens substituables tels que des équipements électroniques et/ou à faible valeur ajoutée comme du pétrole, des graines et des huiles végétales2> Observatory of Economic Complexity. oec.world/en/profile/bilateral-country/usa/partner/chn. La Chine exporte principalement des biens à haute valeur ajoutée, tels que téléphones, ordinateurs, et batteries. Si la Chine peut trouver certains de ces biens auprès d’autres partenaires commerciaux, il est difficile d’imaginer une réindustrialisation des US sans batteries ou ordinateurs (qui sont tous majoritairement produits en Chine).

De plus, si les Etats-Unis enregistrent un déficit commercial persistant, c’est en partie en raison du rôle dominant de leur monnaie à l’échelle mondiale. En effet, le pays importe plus de biens qu’il n’en exporte. Par conséquent, il envoie davantage de dollars à l’étranger (puisque les échanges internationaux sont souvent libellés en dollars) qu’il n’en reçoit. Cette dynamique est renforcée par le fait que le dollar est perçu comme une valeur refuge par les banques centrales et les investisseurs du monde entier, ce qui entretient une forte demande pour la devise américaine. De nombreuses banques centrales détiennent d’importantes réserves en dollars – dont la Chine. Rééquilibrer la balance commerciale étasunienne reviendrait donc à abandonner la suprématie du dollar comme devise mondiale.

Le problème avec les idiots, c’est qu’on a tendance à les sous-estimer. Or, l’administration Trump a beau enchaîner les erreurs et revenir sur ses pas, il est difficile de croire que ses projets se limitent à un simple évincement économique de son rival chinois. Trump est avant tout le président des plus fortunés. Il n’est pas exclu que ces tarifs préparent le terrain à de futures baisses d’impôts pour les entreprises et les contribuables les plus riches, et servent à reléguer le poids des pertes fiscales sur le dos des plus précaires. L’avenir nous le dira.

Notes[+]

Andjela Velicovic est étudiante en Master en économie politique et membre de Rethinking Economics Genève.

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