Irresponsabilité organisée
Les signaux de la faillite de notre système industriel capitaliste se multiplient. Après la destruction d’une partie de Beyrouth à la suite d’un stockage criminel d’engrais, la marée noire qui a pollué en ce mois d’août les plus beaux récifs coralliens du monde à Maurice, fend aussi particulièrement le cœur. Les 1000 tonnes de fuel échappées du navire japonais MV Wakashio ont occasionné des dommages irréparables à des écosystèmes uniques, malgré la mobilisation extraordinaire des habitants. Si la destruction totale des bas-fonds de l’île a été évitée grâce au pompage in extremis des 3000 tonnes d’hydrocarbures restant à bord, ce drame rappelle que des marées noires peuvent survenir à tout moment et en tout lieu du globe.
A l’instar de nombre de catastrophes naturelles – qui n’ont souvent de naturelles que le nom –, les désastres industriels ont la plupart du temps pour origine l’incurie humaine et la course au profit sans contrôles. Les marées noires, ces gigantesques déversements d’hydrocarbures dans la mer, ne font pas exception. On en compte plusieurs dizaines dans les dernières décennies. Les noms de l’Amoco Cadiz (Bretagne, 1978), de l’Erika (Finistère, 1999) et de la plate-forme Deepwater Horizon (Golfe du Mexique, 2010), résonnent encore douloureusement dans nos mémoires souillées.
Les naufrages se sont multipliés depuis la fin des années 1960, lorsque les grandes nations assuraient encore la construction des navires et leur exploitation sous leurs propres pavillons. Puis, le business a été «externalisé» pour faire baisser les coûts et échapper à toute poursuite judiciaire en cas de catastrophe grâce à la multiplication des intermédiaires et à un système opaque.
L’une des pièces maîtresses de cette organisation de l’impunité, cautionnée par les grandes puissances: les pavillons de complaisance. Aujourd’hui, une quinzaine d’Etats, officiant comme des paradis fiscaux maritimes, à la tête desquels le Libéria et le Panama, enregistrent la plupart des flottes mondiales sous leur propre drapeau pour le compte de propriétaires provenant d’autres pays, sans pour autant disposer des moyens de gestion et de contrôle adéquats. Résultats: navires trop vieux et dangereux, équipages insuffisamment formés et surexploités, itinéraires à risque, surcharges des cargaisons, etc.
Dans le cas du naufrage du MV Wakashio à l’île Maurice, les raisons de la catastrophe restent à établir. Que faisait-il si près des côtes alors qu’il n’avait aucune raison de s’y trouver? On sait pour l’heure que le bâtiment japonais battait pavillon panaméen et qu’avec une quinzaine d’années de navigation à son actif, il était en fin de vie. Son propriétaire, la firme Mitsui OSK Lines, a déjà été responsable d’une fuite importante de carburant lorsque son pétrolier Bright Artemis a laissé échapper 4500 tonnes de brut dans l’océan indien, en 2006. Le gouvernement mauricien réussira-t-il à obtenir réparation pour les dommages subis par l’île? Rien n’est moins sûr.