Chroniques

Les anti-Netanyahou ne décolèrent pas

Au pied du mur

Chaque soir, des milliers de personnes, parfois des dizaines de milliers, manifestent devant la résidence secondaire du Premier ministre israélien – sa luxueuse villa de Césarée, au nord de Tel-Aviv – ainsi que dans des dizaines d’autres sites à travers le pays. Ils et elles sont là pour protester, exprimer leur colère et exiger qu’il démissionne. L’énergie qui se dégage de ces mobilisations est sans précédent; la variété et l’originalité des formes prises par les protestations font rêver les vieux militants qui y participent. Rien à voir avec les vieilles manifestations organisées par la gauche lors de la guerre du Liban ou des divers soulèvements palestiniens. Si tous les âges sont représentés, ce sont les jeunes, voire les très jeunes, qui donnent le ton. Un ton bruyant qui a le don d’irriter madame Netanyahou au plus haut point. Toutes les tentatives de faire interdire ces rassemblements ou de les éloigner des différentes demeures de la famille Netanyahou ont jusqu’à présent échoué.

L’unique dénominateur commun qui motive les manifestant-e-s? «Netanyahou, dégage!» Mais si certain-e-s protestent contre sa corruption notoire, d’autres pointent l’échec de la politique sanitaire, quand, pour d’autres encore, ce sont la crise économique inédite et la pauvreté qui s’étend largement dans les classes moyennes qui les font se lever.

L’exemple de la lutte contre l’épidémie de Covid-19 est emblématique: après s’être vanté tous les soirs à la télévision du succès de sa politique «qui sert d’exemple à tous les pays du monde», Benyamin Netanyahou se trouve confronté à la «liste rouge» de l’OMS et de l’Union européenne. Cette dernière exige une mise en quarantaine des citoyens israéliens désireux d’entrer sur son territoire, compte tenu du nombre exorbitant de contaminations dues au déconfinement israélien, beaucoup trop rapide, exigé par les lobbies d’affaires. A cela il faut ajouter le manque de moyens des hôpitaux, induits par une politique systématique d’affaiblissement du secteur public «pour être comme les USA» [sic] – un modèle dont a toujours rêvé le père du néolibéralisme sauvage made in Israël.

Mais les mensonges arrogants de Netanyahou passent de moins en moins: la réalité des crises sanitaire et économique est trop flagrante pour se fier encore à celui que ses inconditionnels appellent «le magicien». Même la base électorale traditionnelle du Likoud montre des fissures. Ce qui maintient le Premier ministre au pouvoir, c’est la trahison de ce qui aurait pu figurer l’alternance: la liste Bleu et Blanc menée par le général Benny Gantz. Ce dernier, en dépit de ses promesses, a accepté de rejoindre le gouvernement Netanyahou et, ce faisant, il a liquidé toute alternative à un pouvoir corrompu et gravement inefficace.

Il est par ailleurs important de souligner la lacune la plus criante des rassemblements anti-Netanyahou: l’absence quasi totale de références à l’occupation coloniale de la Cisjordanie et au siège de Gaza. Pour la masse des manifestants, les Palestiniens sont des «présents-absents». Il faut dire que la question de l’occupation est devenue une non-issue [un non-sujet], comme disent les Etasuniens, eux aussi essentiellement préoccupés par la lutte contre l’épidémie – avec des moyens beaucoup moins performants que les Israéliens. Ceci face à la cruauté gratuite de l’occupation qui, pour ne donner qu’un exemple, a récemment empêché une équipe médicale palestinienne de traiter l’épidémie dans la vieille ville de Jérusalem. Comme si la propagation du Covid-19 allait se cantonner aux quartiers arabes sans s’étendre au-delà de la «ligne verte»… Il faut avoir le cerveau d’un militaire pour croire qu’un checkpoint peut arrêter un virus…

 

* Militant anticolonialiste israélien, fondateur du Centre d’information alternative (Jérusalem/Bethléem).

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