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Le marketing change, la demande reste

EST-CE BIEN RAISONNABLE?

Avec le mouvement Black Lives Matter et les manifestations qui se déroulent un peu partout dans le sillage de la mort de George Floyd aux Etats-Unis, les entreprises sont sous pression, et rivalisent d’initiatives pour gommer tout ce qui pourrait s’apparenter à du «racisme» dans leur communication. C’est ainsi qu’au Danemark, la marque de glace Eskimo, qui signifie «mangeur de viande crue» en groenlandais, a changé de nom, après avoir été jugée raciste; que le logo du riz Uncle Ben’s devrait prochainement disparaître; et qu’à Zurich, la Migros a retiré de ses rayons les Mohrenköpfe («tête de Maure», version allemande de tête-de-nègre) d’un confiseur qui s’obstinait à ne pas vouloir les appeler Schokokopf (tête au choco). Rien à signaler pour l’instant concernant les petits-suisses, petits chinois et autres blancs battus.

Mais l’initiative qui a connu le plus grand retentissement demeure pour l’heure celle des géants du secteur des cosmétiques, qui ont décidé de bannir de leur marketing toute référence à un teint blanc et clair, estimant que désormais, proposer des produits «blanchissants» pourrait être mal interprété. Cela a commencé par la filiale indienne d’Unilever, qui a annoncé que leur lotion Fair & Lovely ne s’appellerait désormais plus que Lovely, la notion de «fair» faisant référence à une peau claire, donc désormais inappropriée. C’est ensuite le groupe américain Johnson & Johnson qui s’est engagé à renoncer à commercialiser des produits tels que Clear Fairness by Clean and Clear, utilisés pour obtenir une peau plus claire en Asie, au Moyen-Orient et en Afrique. Enfin, le géant français du cosmétique L’Oréal, qui a annoncé retirer le terme «blanchissant» des étiquettes de ses produits, sans pour autant les retirer du marché. Telle la gamme White Perfect, commercialisée sur le continent africain et en Inde.

Fait piquant: pendant que les pressions s’accentuent sur les grands groupes cosmétiques, sous d’autres cieux, la demande en produits blanchissants n’a jamais été aussi forte. C’est le cas sur le continent africain où les produits les plus improbables destinés à dépigmenter la peau continuent à être vendus, y compris clandestinement, sur tous les marchés. Ceux-ci sont très prisés par des femmes qui cherchent à tout prix à acquérir le teint clair auquel elles aspirent, quitte à sacrifier leur santé sur l’autel de leur idéal de beauté. Car les produits utilisés, à base de corticoïdes, d’hydroquinone ou de dérivés de mercure, génèrent des lésions cutanées souvent irréversibles. Or, ces substances ne figurent pas dans les produits «blanchissants» proposés par L’Oréal. D’où une certaine confusion dans les débats enflammés sur les réseaux sociaux, où les internautes associent les crèmes de L’Oréal à des produits dépigmentants.

Le marché du «blanchissement» de la peau a été évalué à près de 20 milliards d’euros en 2018. Pour les grands groupes de cosmétiques, il s’agit donc d’occuper le maximum de parts de ce marché florissant, même si leurs produits sont considérés comme moins «efficaces» que les mixtures, souvent interdites, mais néanmoins omniprésentes en Afrique. Et si ce n’était pas plutôt du côté de la demande pour de tels produits que se situait le problème? Car malgré d’innombrables campagnes dénonçant les méfaits des produits dépigmentants, sur fond de black is beautiful, organisées sur le continent africain, rien ne change. Que les géants des cosmétiques calquent leurs arguments marketing sur l’air du temps, c’est une réalité. Mais qu’un mouvement de fond emporte durablement les aspirations à une peau claire demeure pour l’instant une chimère.

Notre chroniqueuse est journaliste.

Opinions Chroniques Catherine Morand

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lundi 8 janvier 2018

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