Genève

L’agriculture entre espoir et déception

Entre mars et juin, les Genevois se sont rués à la ferme pour acheter des produits frais. La fin du confinement et la réouverture des frontières ont eu en partie raison de ce bel élan.
L’agriculture entre espoir et déception
«Il y a eu un gros pic pendant le Covid, une déferlante de consom’acteurs qui n’avaient plus tellement le choix de faire leurs courses ailleurs», relève Edouard Pouteil-Noble, associé du domaine de la Touvière, à Meinier. JPDS
Agriculture

De longues files d’attente devant les fermes avant de pouvoir acheter du pain, des œufs (une denrée alors devenue rare), des fruits ou des légumes: le semi-confinement aura également produit des images inédites dans les campagnes. Durant trois mois, les Genevois ont largement fait appel aux circuits courts pour s’alimenter: vente directe, marché à la ferme, terroir en ligne. D’autant que les frontières étaient fermées. Les petits producteurs, privés d’une partie de leurs débouchés habituels que sont les marchés, les restaurants et les collectivités publiques, ont su faire preuve de réactivité pour répondre à la demande exponentielle des consommateurs. Que restera-t-il de ce bel élan?

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«Il y a eu un gros pic pendant le Covid, une déferlante de consom’acteurs qui n’avaient plus tellement le choix de faire leurs courses ailleurs», relève Edouard Pouteil-Noble, associé du domaine de la Touvière, à Meinier. «Nous avons eu du mal à nous adapter, comme toutes les petites fermes de la région pour faire face à la demande.» Depuis, celle-ci s’est tassée, jusqu’à retrouver les chiffres de l’an passé. «Dès la mi-juin, nous avons senti une grosse baisse liée à l’ouverture de la frontière. Les gens ont repris le travail, ils ont aussi moins de temps pour aller à la ferme.»

«La demande était vite devenue impossible à gérer, nous avons dû la freiner», relate Guillaume Lambert, fondateur d’Espace Terroir, plateforme en ligne proposant du bio livré à domicile. «Nous sommes passés de 450 à 800 paniers de fruits et légumes par semaine. Il a fallu se réorganiser et engager du monde. Depuis, la demande a diminué, mais demeure plus élevée que l’an passé à la même période. Je pense que ce sera durable, une partie des clients ont pris goût à ces produits artisanaux et veulent, philosophiquement, sortir de l’industrie agroalimentaire et aider les petits commerces.»

Les clients repartis en France

La Ferme du Sonneur, à Avully, avait prévu d’ouvrir un point de vente en mai, en plus du marché de Carouge, où elle officie. Le Covid a servi d’accélérateur. «Au début, nous pensions vendre nos produits à la ferme le vendredi et le samedi. Nous avons été littéralement pris d’assaut, si bien que nous avons immédiatement renoncé au samedi, faute de marchandise», raconte Alexandre Gago, un des trois associés. Pendant le confinement, la ferme a enregistré jusqu’à deux heures trente de queue. «Les gens venaient avec leur parasol et leurs chaises, ils s’allongeaient dans le pré, c’était aussi un bon prétexte pour les citadins de sortir de la ville.» Et aujourd’hui? «Il reste un noyau dur d’une vingtaine de clients à la ferme. C’est grâce à eux que nous tenons.»

«Une partie des clients ont pris goût à ces produits artisanaux»    Guillaume Lambert

«On bossait bien avant le Covid, on bossera bien après», assure Pierre Gallay, du Domaine de la Brunette, à Cartigny. Son magasin à la ferme a attiré de nombreux chalands, permettant de compenser l’interdiction des marchés. «Les nouveaux clients ont découvert que nous avions du choix, des prix attractifs, des produits pas ou peu traités et qui ont du goût. Certains vont rester», croit Pierre Gallay.

«Nous estimons qu’il reste actuellement 5% des nouveaux clients venus s’approvisionner dans les points de vente pendant le Covid. La plupart faisaient leurs courses en France avant et, avec le déconfinement, sont retournés à leur vieux réflexes», constate Valentina Hemmeler Maïga, directrice générale de l’Office cantonal de l’agriculture et de la nature (OCAN). Deux études en cours – l’une de l’OCAN auprès du monde agricole, l’autre des Hautes Ecoles de gestion de Genève et Fribourg auprès des consommateurs – devront confirmer ces premières impressions.

Cinq pour cent, c’est peu. «Une déception pour le monde agricole qui a su se réinventer de manière rapide pendant la crise, juge Valentina Hemmeler Maïga. Nous aimerions pouvoir rebondir sur cette période particulière pour que le soufflé ne retombe pas. Un travail de fond est nécessaire, pour faire comprendre aux habitants qu’acheter local bénéficie à l’économie de proximité, au climat, à l’environnement et à la santé.»

Le temps et l’argent

De quoi rendre amers les petits producteurs? Même pas. «Une famille qui a un revenu disponible de 4000 francs par mois, pensez-vous qu’elle peut s’offrir des produits suisses? interroge Pierre Gallay. Impossible, sauf à n’acheter que des carottes, des pommes de terre et des pommes. Par contre, ceux qui ont un bon revenu, qui prennent l’avion, consomment à gogo, mais ne font pas leurs courses en Suisse, alors là je rouspète.»

«On ne peut pas se battre sur le prix. Celui qui veut juste acheter du bio pour lui, mais ne juge pas important de soutenir les conditions sociales des travailleurs locaux, ce client-là, on ne l’aura pas», estime Guillaume Lambert. Edouard Pouteil-Noble croise les doigts pour qu’une prise de conscience en faveur d’une agriculture paysanne fasse jour. «On aimerait que les gens dépensent leur argent de façon plus réfléchie, politique, en prenant en compte l’impact de l’alimentation sur le tissu social local et agricole. Il y a des conséquences à acheter pas cher de l’industriel à l’étranger.»

«C’est dur de jeter la pierre à quiconque. Le temps est compté dans le monde de travail, les moyens des familles limités et il est plus simple d’aller à un seul endroit où on trouve de tout. Reste que l’agriculture suisse est sous perfusion, des exploitations disparaissent, des paysans se suicident. Venez dans nos campagnes!» lance Alexandre Gago, en guise d’appel.

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