Édito

Redescendre sur terre

Redescendre sur terre
La reprise s'est faite en douceur, avec 15 vols lundi. KEYSTONE/ARCHIVES
Aéroport de Genève

Lundi, dès l’aube, les habitants de la rive droite de Genève ont retrouvé leurs vrombissements. Après dix semaines d’un ciel presque sans avions, la reprise s’est faite en douceur. Avec quinze vols, l’aéroport de Cointrin était loin d’avoir retrouvé sa pleine capacité. Mais ça ne tardera pas. A l’instar de nos rues colonisées comme aux pires moments du «monde d’avant», le trafic aérien reprend «ses droits», et tant pis pour ceux des riverains, des animaux et du climat.

Nous ne sommes pas de ceux qui pensaient que le capitalisme et le productivisme seraient abattus par ce virus ni par les quelques bienfaits du confinement. Pourtant, accepter ce redémarrage sans crier gare serait une grossière erreur. Brutalement sortis de notre quotidien effréné, nous avons pu, quelques semaines durant, observer notre univers personnel avec des yeux neufs. Apprenant, parfois, à trier entre les manques réels et le superflu. Et même à détester certains travers de notre société que l’on avait, jusque-là, jugés inévitables par habitude et conformisme. Le trafic aérien délirant de ce XXIe siècle en est un.

Loin de nous l’idée de prôner un monde sans avions, ou pire, sans voyage. La réouverture progressive des frontières entamée hier est heureuse, et le droit de circuler librement une conquête révolutionnaire. Les familles, les couples, les amis séparés par la distance ou les frontières en savent quelque chose. Quant au voyage, il nous ouvre une porte unique sur le monde, sur une planète qui n’a d’autre choix que de s’unir et de dialoguer pour affronter les périls de ce temps – la destruction de l’environnement, l’exploitation et les nationalismes.

Pour autant, questionner notre frénésie de mouvement est urgent! Y a-t-il un sens à traverser le continent pour un week-end de loisir ou une réunion de travail? Est-il sensé de travailler à des centaines de kilomètres de chez soi? De traverser un océan pour «avoir fait» tel ou tel spot? De vouloir s’imprégner de mille pays mais d’ignorer ses voisins?

Après avoir vu des centaines de Genevois redécouvrir émerveillés, sacs au dos ou à vélo, une rive droite libérée de l’aviation, on peut très sérieusement en douter. Notre asservissement à cette folle machine est moins atavique qu’on ne l’a cru. Reprendre en mains notre ciel moins utopique qu’on le pense. La minitaxe sur les billets d’avion, adoptée début juin par les Chambres, n’a fait qu’esquisser la voie à suivre. Combien, sur les trois cents vols quotidiens à Cointrin, sont-ils réellement indispensables? Pourquoi, à l’instar des magasins, l’aéroport ne fermerait-il pas le dimanche, offrant une respiration bien méritée aux habitants? Comment expliquer que plusieurs dizaines de vols relient Genève à Paris alors que la capitale française est atteignable en trois heures de train?

Aucune de ces questions ne devrait plus être tabou. Il en va de la qualité de nos vies – maintenant, ici et là-bas – et de notre survie demain. Mais c’est aussi un appel à nous recentrer, à retisser du lien social autour de nous. A redescendre sur Terre.

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