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Valoriser sans en avoir l’air un anti-héros

Valoriser sans en avoir l’air un anti-héros
"L'Agent immobilier", mini-série avec Mathieu Amalric. ARTE
Les écrans au prisme du genre

Mini-série franco-belge d’Arte en quatre épisodes, L’Agent immobilier a été très bien accueillie par la critique française1>Le Monde parle d’«un conte furieusement noir et bruyamment comique. Un conte fantastique dans lequel un prince désargenté déambule dans sa vie plus qu’il ne l’habite.», accès: https://bit.ly/2Upb50M. Réalisée par les Israélien-ne-s Shira Geffen et Etgar Keret, d’après des nouvelles du second, elle met en scène un personnage récurrent dans les fictions françaises de ces dernières années, un «raté» sur le plan professionnel et personnel, que l’on suit complaisamment d’échec en échec…

Olivier Tronier (Mathieu Amalric) est un agent immobilier tellement fauché qu’il squatte les appartements qu’il essaye – vainement – de vendre… Divorcé et père d’une adolescente, il est incapable de tenir les promesses qu’il lui fait régulièrement. De plus, il a la charge d’un père joyeusement irresponsable incarné par Eddy Mitchell, dont il peine à payer la pension dans une maison de retraite à l’architecture futuriste improbable et aux tarifs rédhibitoires.

Quand l’histoire commence, sa mère vient de mourir (apparemment ses relations avec elle étaient inexistantes) et son meilleur ami, notaire, lui annonce qu’elle lui a laissé un immeuble tellement délabré qu’il vaudrait mieux qu’il s’en débarrasse dès que la dernière locataire aura vidé les lieux. Le principe dramatique de cette fiction, c’est la capacité du héros à transformer les opportunités en catastrophes… Principe comique qui a une longue tradition au cinéma depuis Buster Keaton.

L’essentiel de l’histoire tourne autour de l’immeuble délabré légué par sa mère, sa dernière locataire récalcitrante, le promoteur véreux qui s’en porte acquéreur en utilisant des méthodes musclées, accompagné d’un fils préadolescent qui l’assiste et à qui il enseigne le métier en hébreu (c’est un des nombreux clins d’œil ironiques que les réalisateurs font à leur pays d’origine, y compris en affublant le promoteur dans sa dernière apparition d’un T-shirt à la gloire de l’armée israélienne); à quoi il faut ajouter tous les personnages qui peuplent l’immeuble quand le héros se transporte en rêve quarante ans plus tôt, et qui se révèleront peu à peu, comme dans un puzzle, être les protagonistes de son enfance.

Les femmes adultes sont quasi absentes de la série, bien que son ex-épouse au téléphone suggère que le héros saute sur tout ce qui bouge… Seules la vieille locataire et une petite fille dans les scènes au passé ont un peu d’épaisseur. C’est une histoire qui se passe essentiellement entre hommes, la masculinité vulnérable du héros étant confrontée à différentes variantes de masculinité agressive, voire terrifiante…

Mathieu Amalric est quasiment de tous les plans: âgé de 55 ans, cet acteur au physique ingrat et à la persona d’intellectuel est un habitué du cinéma d’auteur – il est au centre de sept films d’Arnaud Desplechin2>Voir la critique des Fantômes d’Ismaël sur le site: www.genre-ecran.net/?Les-Fantomes-d-Ismael –, sans pour autant négliger le cinéma grand public – Quantum of Solace (22e James Bond, 2008), Le Grand Bain (Gilles Lellouche, 2018); il a même récemment incarné le directeur du Bureau des légendes, dans la série éponyme de Canal+.

Depuis la Nouvelle Vague, la figure du looser pathétique s’est imposée comme un masque commode du pouvoir très réel de cette nouvelle génération de cinéastes: A bout de souffle, Le Petit Soldat, Les 400 coups, le Beau Serge, les Cousins, etc. racontent des histoires de jeunes gens (ou de jeunes garçons) qui échouent à se faire une place dans le monde3>Cf. G. Sellier, La Nouvelle Vague, un cinéma au masculin singulier, CNRS éditions, 2005.. Cette stratégie a si bien réussi que le cinéma populaire d’avant la Nouvelle Vague a disparu des mémoires et des cursus d’études cinématographiques des universités françaises, au profit de la Nouvelle Vague et de ses héritiers, les Depleschin, Goupil, Podalydès, Assayas, Jacquot, Larrieu, Green, Bonello, Ruiz, Polanski – qui ont tous fait tourner Amalric. Lui-même a réalisé sept longs-métrages depuis 1997. Il est la preuve de l’efficacité de la stratégie qui vise à occuper le terrain en suscitant l’empathie pour des personnages de ratés.

Notes[+]

Notre chroniqueuse est historienne du cinéma, www.genre-ecran.net

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mercredi 27 novembre 2019

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