Édito

Faire d’un lion un chat

Faire d’un lion un chat
KEYSTONE
Droits humains

«Zéro incident grave» en matière de droits humains. L’année 2019, telle que présentée mardi par le Rapport de la multinationale minière Glencore sur le développement durable, est une de ces opérations surréalistes auxquelles a fini par nous habituer le capitalisme. Un maquillage d’entreprise ritualisé sur papier glacé à l’intention de ses propriétaires qui, de toute façon, s’en fichent absolument.

Sous les quatre pages consacrées aux droits humains, la société basée à Zoug peut enterrer une seconde fois les trente mineurs décédés il y a un an dans l’effondrement d’un puits congolais, ou les vingt-et-une personnes tuées par un camion-citerne d’acide sulfurique qui se rendait en février 2019 dans une autre mine du pays. Chaque fois, le mastodonte pesant plus 200 milliards de francs se retranche derrière la sous-traitance ou des arguties juridiques1> Interpellée par Le Courrier, la société estime avoir fait preuve de transparence en signalant ces drames et dit avoir pris des mesures pour qu’ils ne se répètent pas. Elle admet toutefois la nécessité de revoir sa «classification des incidents relatifs aux droits humains»..

Ces deux affaires sont loin d’être les seuls «oublis» du rapport, dénoncent douze ONG, qui listent dans un communiqué conjoint les passifs du géant minier, une nouvelle fois pris en flagrant délit de blanchiment social: travail des enfants, optimisation fiscale, pollutions diverses, soupçons de corruption… Un constat incomplet puisqu’il faudrait encore mentionner l’expulsion de communautés, ses pratiques antisyndicales et la précarisation croissante de ses travailleurs.

Tout cela n’est pas nouveau, mais il n’est pas inutile de le rappeler alors que les partisans de l’autorégulation font feu de tout bois cette semaine aux Chambres contre l’initiative Pour des multinationales responsables. Ou pour que la DDC confie à ces sociétés déjà toutes puissantes dans le Sud des projets de coopération financés par les Suisses…

Malgré des efforts certains pour améliorer son image, Glencore demeure et demeurera Glencore. Libre de cadre légal global, ce type d’entreprise – véritable nébuleuse transnationale – ne peut que continuer à jouer dans les interstices des législations nationales, d’explorer les marges de manœuvres fiscales les plus rentables, d’imposer sa force de frappe mondiale à chacun des Etats ou de se retrancher, en cas de coup dur, derrière une seule société nationale, si possible sous-contractante. Ce n’est pas affaire de morale mais de nature de ces constructions juridico-économiques et de concurrence. Leur demander de s’autodiscipliner, c’est exiger d’un lion qu’il devienne chat parmi les lions. De se limer les griffes qui leur ont permis de s’imposer comme des puissances mondiales dictant leurs lois aux Etats.

Hébergeant la maison-mère de nombre de ces réseaux, la Suisse, dans le sillage de ses voisins, pourrait limiter les dégâts causés par ses entreprises hôtes et donner quelques armes d’autodéfense aux populations. L’initiative des ONG offre cette rare opportunité.

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