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Les sans-abris de Russie crient famine

«On crève de faim!» En Russie comme dans le reste du monde, c’est sans surprise sur les franges de population les plus précarisées que les retombées de la crise sanitaire se font les plus violentes. L’association Nochlechka Suisse solidaire témoigne de la situation, à Saint-Pétersbourg et à Moscou, des sans-abris dépourvus de toute aide étatique.
Pandémie

«En quinze secondes tout a disparu. Il n’y a plus rien à manger ou si peu. Les invendus des supermarchés sont dérisoires, on se bat pour des fruits pourris», raconte Tatiana, le ventre vide. «Nous sommes dans la rue, le corona est en ville, et nous n’avons aucune possibilité de nous protéger, de nous confiner, j’en ai la peur au ventre. Et comment nous alimenter? tout est fermé, même les poubelles sont vides…», surenchérit Sasha. Une litanie répétée par des milliers de bouches. La nourriture est de plus en plus rare pour les sans-abris de Saint-Pétersbourg où, comme partout dans le monde, le coronavirus frappe sans miséricorde les plus démunis. Dans cette ville, ils sont plus de 6000 sans-logis laissés à l’abandon, sans aucun filet social étatique pour leur venir en aide. Déjà, en temps normal, cette partie de la population est ignorée par les autorités; en situation de pandémie, une telle indifférence s’apparente à de la non-assistance à personne en danger.

Kits de survie

Face à ce cruel constat, l’ONG Nochlechka a lancé une action à Saint-Pétersbourg et à Moscou. L’association a appelé la population à nourrir les sans-abris en déposant des kits de survie contenant nourriture, articles de toilette, si possible masques et désinfectants, en des lieux clés des deux villes. Et ça fonctionne, selon Andreï Chapaev, responsable local de l’aide humanitaire de Nochlechka, surpris par l’immense élan de solidarité rencontré par le projet. «Et c’est tant mieux, car les sans-logis sont de plus en plus nombreux. Beaucoup se sont retrouvés dans la rue récemment. Avant l’épidémie, la plupart vivotaient de petits boulots informels. Aujourd’hui ils n’ont plus rien.»

Face au coronavirus, Grigory Sverdlin, directeur de Nochlechka, a participé dernièrement à une réunion organisée par le gouvernement de la Fédération de Russie. La rencontre, présidée par la vice-première ministre Tatyana Golikova, était consacrée au travail social de rue avec les sans-abris en temps d’épidémie. Il en est ressorti qu’il n’existe aucune réglementation sur ce type d’action. Pour cette raison, les institutions d’Etat ne peuvent pas s’investir dans la rue, ni même s’assurer d’une prise en charge par des organisations caritatives, du fait que de telles options ne figurent tout simplement pas sur la liste des services socialement utiles. Donc on ne fait rien.

Face à l’inaction étatique, Nochlechka mène plusieurs actions de front pour faciliter un peu la survie des sans-abris. A Saint-Pétersbourg, les centres d’accueil et de nuit de l’association permettent d’accueillir quelque 80 personnes, tandis que son bus de nuit maraude quotidiennement dans les banlieues pétersbourgeoises. Ces actions permettent de fournir nourriture, soins de premières urgences et réconfort. Les mesures d’hygiène sont strictes, les prises de température systématiques, et les distances sociales respectées autant que faire se peut.

La pandémie de Covid-19 est un marqueur impitoyable des inégalités sociales, que ce soit à Saint-Pétersbourg, Bogota, Calcutta ou même à Genève, Lausanne, Zurich. Le virus exacerbe, sans états d’âme, la misère de millions d’êtres humains.

 

* Président de Nochlechka Suisse Solidaire, www.suissesolidaire.org

Ndlr: Deuxième pays du monde le plus frappé par le Covid-19 en nombre de cas confirmés (près de 250 000), la Russie a entamé ce mardi une levée prudente du confinement dans plusieurs régions.

Opinions Agora Pierre Jaccard Pandémie

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