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Illusions d’optique

En réaction, entre autres, à un article paru dans notre édition du 1er mai, la sociologue Dominique Felder pointe les «informations biaisées» relatives aux personnes vulnérables qui ont justifié la rigueur des mesures sanitaires spécifiques aux personnes âgées.
Pandémie

Un récent article sur la pandémie et les personnes âgées transmet malheureusement – comme beaucoup d’autres – des informations biaisées concernant ces soi-disant «personnes à risque». Interrogée, la sociologue Cornelia Hummel affirme en effet: «Ces données montrent que le taux d’hospitalisation et de décès est peu important jusqu’à 50 ans, puis la courbe devient très ascendante dès la tranche décennale des 60-69 ans.»

Pour commencer, cette «courbe très ascendante» est en fait une sorte d’illusion d’optique. On sait en effet depuis le début de la pandémie que si l’on prend en compte ce que les statisticiens appellent la «morbidité préexistante», on s’aperçoit que plus de 99% des personnes qui décèdent du Covid-19 souffraient d’une des quatre maladies: cancer, obésité, problèmes cardiaques ou hypertension, diabète1>ISS, Italy National Health Institute, March 17 sample, cité par J.D. Michel, Tribune de Genève, 18 mars 2020.. Chez les plus de 65 ans, une morbidité préexistante touche plus de 90% des personnes hospitalisées2>OFSP, conférence de presse de Daniel Koch qui, pour sa part, mettait en évidence le fait qu’entre 5 et 10% d’hospitalisés étaient sans morbidité préexistante….

C’est donc parce qu’on oublie de mettre en relation différentes variables que l’illusion d’optique se répand. On se focalise sur ce qui est le plus apparent, ici l’âge, sans voir la cause réelle, plus cachée, à savoir la maladie préexistante. Aux Etats-Unis, on ne se focalise pas sur l’âge mais sur la race: les Noirs seraient plus touchés que les Blancs. Là encore, illusion d’optique: si l’on croise l’origine ethnique et l’appartenance sociale, on s’aperçoit que si les Noirs meurent plus souvent, c’est qu’ils sont majoritairement pauvres, victimes de malbouffe et sans accès aux soins, donc en mauvais état de santé avant l’apparition du virus.

Autre aspect biaisé du discours: la désignation des 65 ans et plus comme «catégorie à risque» globale. La NZZ am Sonntag du 19 avril fait état d’une recherche menée dans quatre EMS de la ville de Zurich, où il apparaît qu’une partie des résidents testés positifs n’ont manifesté que des symptômes légers ou atypiques. Pro Senectute en déduit: «Tous les seniors n’appartiennent visiblement pas aux groupes à risque.» C’est une évidence qui saute aux yeux si l’on consulte les statistiques du médecin cantonal genevois et qui vient d’être confirmée par une étude allemande concluant que le taux d’infection apparaît «très similaire chez les enfants, les adultes et les personnes âgées et ne dépend apparemment pas de l’âge», ni du sexe3>Infection fatality rate of SARS-CoV-2 infection in a German community with a super-spreading event, University Hospital Bonn, avril 2020..

Est-il dès lors admissible de continuer à considérer les «65 ans et plus» comme une catégorie à risque? Peut-on tolérer plus longtemps l’insistance sur un confinement total, la quasi interdiction de sortie, le tabou des contacts intergénérationnels, la tentative d’instaurer des plages horaires pendant lesquelles les seniors auraient le droit d’aller faire leurs courses?

Comment a-t-on laissé s’instaurer une telle discrimination, qui aurait suscité une levée de boucliers immédiate s’il s’agissait d’autres catégories sociales? Seule Pro Senectute a émis récemment de faibles protestations. Tous les autres acteurs sociaux impliqués se sont distingués par leur silence assourdissant: l’Avivo, les clubs du troisième âge, l’université du même nom, les diverses fondations et associations s’occupant de personnes âgées, l’Imad [Institution genevoise du maintien à domicile], les partis défendant la famille ou les plus faibles. Sans parler des EMS qui, à de rares exceptions, ont très rapidement mis en œuvre l’interdiction de visites sans se préoccuper d’offrir une alternative à leurs pensionnaires.

Il est temps de réagir.

 

Notes[+]

Ndlr: L’OFSP a annoncé le 11 mai l’assouplissement des mesures pour les groupes à risques et les EMS, autorisant les visites «partout où c’est possible». Les personnes de +65 ans, y compris en bonne santé, restent toutefois incluses dans les groupes à risque.

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