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«The Morning Show»: deux femmes à l’antenne

«The Morning Show»: deux femmes à l’antenne
Reese Witherspoon et Jennifer Aniston dans "The Morning Show".
Les écrans au prisme du genre

Nous sommes sur le plateau de l’émission matinale The Morning Show. Au top, la présentatrice annonce le licenciement de son coprésentateur depuis quinze ans, pour comportement sexuel inapproprié: c’est la presse qui a fait éclater le scandale. Est-ce que l’émission y survivra? Cette série de dix épisodes d’une heure, diffusée sur Apple TV1>Inscription gratuite pour une semaine, avec la possibilité de se désabonner avant la semaine écoulée., coproduite par ses deux interprètes principales, Reese Witherspoon et Jennifer Aniston, est un exemple particulièrement convaincant de la façon dont l’implication économique de deux actrices féministes dans la conception d’une série peut changer la donne.

The Morning Show est une fiction enfantée par la vague #MeToo, qui raconte comment le présentateur phare d’une chaîne d’«infotainment» (l’information-divertissement pratiquée par les chaînes de télévision étasuniennes) est dénoncé publiquement comme un harceleur sexuel, et le bouleversement qui s’ensuit pour sa co-présentatrice, pour toute l’équipe de l’émission et pour les dirigeants de la chaîne. Dans un contexte de concurrence effrénée entre les chaînes sur ce créneau du matin, Mitch Kessler (Steve Carell), le présentateur, est immédiatement viré et remplacé, à la suite d’une série de «coups» plus ou moins tordus, par une jeune journaliste, Bradley Jackson (Reese Witherspoon) venue d’une chaîne locale, qu’Alex Levy (Jennifer Aniston), la co-présentatrice de l’émission, impose à sa direction pour éviter d’être virée elle-même.

A travers des péripéties brillamment écrites et toujours socialement pertinentes, les enjeux que soulèvent cette série sont multiples: les discriminations de genre parmi les présentateurs/trices (c’est peu de dire que la date de péremption n’est pas la même pour les hommes et pour les femmes…), mais aussi les agressions sexuelles et les diverses formes de harcèlement qui s’y pratiquent, le silence complice des proches, les injonctions et les assignations à travers lesquelles s’expriment des rapports de pouvoir implacablement genrés; enfin les rapports de rivalité que cette domination masculine entretient entre les femmes; et la façon dont la question de la race vient encore complexifier ces rapports de pouvoir, même si elle est abordée ici de manière secondaire…

Au fur et à mesure que se déroule la série, on va s’apercevoir de l’étendue des dégâts provoqués par l’omerta qui couvrait les pratiques de harcèlement sexuel du présentateur, dans l’équipe de l’émission jusqu’à la direction de la chaîne. Evidemment, on pense aux complicités dont a joui pendant des décennies Harvey Weinstein. Ici, elles sont décrites dans le détail, avec une précision inédite, sans pour autant qu’aucun personnage ne soit diabolisé: même le présentateur harceleur (avant la vague #MeToo, on aurait parlé d’un séducteur bon vivant…) jouit apparemment de la sympathie générale dans l’équipe de l’émission, et a le plus grand mal à comprendre pourquoi son comportement tombe sous le coup de la loi… Seul le PDG de la chaîne est une figure assez univoque d’homme de pouvoir sans scrupules.

Mais le cœur du récit, ce sont les relations entre les deux femmes. Reese Witherspoon a abandonné pour l’occasion la blondeur qu’on lui connaît dans la plupart de ses rôles, en particulier le dernier en date, Big Little Lies. Cette couleur auburn concourt à rendre crédible son personnage de reporter venue du terrain, habituée à un journalisme engagé (elle s’est fait remarquer par un reportage mouvementé sur la fermeture d’une mine de charbon).

L’affrontement entre les deux femmes est d’abord de nature sociale: la présentatrice mondaine qui vit dans le milieu bling-bling new yorkais face à la journaliste venue de l’Amérique profonde, porteuse des luttes sociales. Mais leur position dominée en tant que femmes, face à la direction masculine de la chaîne qui cherche constamment à les instrumentaliser, va les amener peu à peu à construire des formes de solidarité, non sans difficultés et trahisons diverses.

Le souci central des auteurs/trices collectif/ves de cette série est de rendre compréhensible à un large public le fonctionnement du harcèlement sexuel au travail. Toute cette zone grise qui a permis, lors des procès récents, de diffamer, de délégitimer les femmes qui portent plainte, est magistralement décrite et déconstruite.

 

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Notre chroniqueuse est historienne du cinéma, www.genre-ecran.net

Opinions Chroniques Geneviève Sellier Série TV

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mercredi 27 novembre 2019

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